D ES journalistes ont trouvé des lots de viande de buf et de porc séchée sur les étals de plusieurs magasins de Chinatown, portant comme mention d'origine la Chine, ou plus précisément Hong Kong, rapporte une dépêche de l'Agence France Presse.
De telles importations sont évidemment effectuées en infraction avec la réglementation en vigueur. « Je ne suis pas surpris, a commenté le Pr Hugh Pennington, expert en sécurité alimentaire à l'université d'Aberdeen. Si nous voulons nous débarrasser de la fièvre aphteuse dans ce pays, tout en laissant des trucs comme ça entrer presque sans régulation, c'est complètement dingue ! », s'est-il emporté.
Alors que l'épizootie a franchi la semaine dernière le cap du millier de foyers outre-Manche, l'affaire, bien sûr, fait grand bruit. Les administrations chargées des contrôles se rejettent la responsabilité de la situation les unes sur les autres : Agence pour la sécurité alimentaire (FSA), ministère de l'Agriculture et douanes se défaussent mutuellement. La France est-elle exposée à de semblables dysfonctionnements dans l'application de la réglementation communautaire ? L'enquête du « Quotidien » montre qu'en effet des produits carnés en provenance de Chine continuent à pénétrer en France.
Une liste des pays tiers autorisés
La réglementation communautaire est pourtant très explicite. Elle repose en premier lieu sur la liste des pays tiers en provenance desquels les Etats membres autorisent l'importation d'animaux des espèces bovine, porcine, ovine, caprine et équine, ainsi que de viandes fraîches et de produits à base de viande.
Aux termes de la décision communautaire numéro 79542, ladite liste fait l'objet de réactualisations fréquentes, au gré du signalement des épidémies. En outre, pour être autorisées à l'importation, précise-t-on à la direction générale de l'Alimentation (DGAL, ministère de l'Agriculture), les viandes en provenance de ces pays dits autorisés doivent être expédiées via des établissements dits d'origine agréés par la Communauté pour leur aménagement, leur équipement et la formation de leur personnel. Elles doivent encore subir un contrôle vétérinaire dans l'un des vingt-deux postes d'inspection frontalière (PIF) installés en métropole, principalement dans les aéroports et dans les ports.
La Chine n'a jamais figuré sur la liste des pays dont les viandes sont susceptibles d'être autorisées à l'importation dans l'Union européenne. Ce pays, s'il s'autoproclame indemne de la fièvre aphteuse, n'a jamais fourni à la FAO (département alimentation et agriculture de l'ONU) le moindre commencement de preuve qui permette de lui conférer ce statut. En outre, des cas y ont été signalés encore récemment, rapporte au « Quotidien » un médecin de l'Office international des épizooties (OIE), en dernier lieu en 1999 et, pour Hong Kong, à deux reprises en l'an 2000, en novembre et en décembre.
1 kg de viande par touriste
Mais le dispositif n'est pas d'une étanchéité à toute épreuve. Ainsi, en parfaite légalité, les touristes rentrant de Chine sont autorisés à ramener dans leurs bagages jusqu'à un kilo de viande par personne, précise-t-on à la DGAL, quel que soit l'animal et qu'il s'agisse de viande fraîche ou de produits à base de viandes desséchés ou en conserve.
Certes, la quantité est modeste, mais lorsqu'on songe qu'un seul morceau de viande contaminé par le virus aphteux qui entre dans la chaîne alimentaire peut provoquer une épidémie ravageuse, on reste perplexe devant le maintien de la tolérance.
D'autres pratiques à risque, semble-t-il, ont encore cours à plus grande échelle. C'est ce que « le Quotidien » découvre à la direction générale des Douanes, au ministère de l'Economie et des Finances. On y apprend que les fonctionnaires de cette administration donnent quitus aux importations dès lors que les produits sont accompagnés d'un certificat vétérinaire délivré dans un PIF. Nulle vérification n'est alors effectuée pour contrôler si le pays figure sur la liste des pays autorisés et si la marchandise a transité par un établissement agréé.
Si bien qu'en 1997 les douanes françaises ont taxé pour 7 000 tonnes de viandes de boeuf en provenance de Chine.
Si les responsables des douanes disent qu'il s'agit d'un volume symbolique, rapporté aux mouvements qu'ils surveillent, c'est tout de même autant de produits interdits aux termes de la décision communautaire 79542 et cependant légalement autorisés à entrer sur le territoire par les PIF et les douanes.
Des importations « interdites-autorisées »
Les statistiques de Bercy ne signalent plus de telles importations par la suite... sauf en 2000, avec l'importation « interdite-autorisée » d'un bovin vivant, pour une valeur soumise à taxation de 3 608 F. Sauf encore, toujours en 2000, 411 quintaux de gibier de toutes espèces (sauf lapin et lièvre) et par conséquent comprenant des cervidés et des porcins, deux espèces contaminées et contaminantes. Sans parler, enfin, des deux quintaux de saucisses importées de Chine sans que la nomenclature ne nous renseigne sur la nature des abats ayant servi à leur fabrication.
Ces chiffres sont les dernières données disponibles. Rien ne permet de penser que ces infiltrations aient subitement pris fin en cette année 2001.
Nous avons communiqué ces informations à un expert de l'OIE qui, passé les premiers instants de stupéfaction, a estimé qu' « on semble en présence de fonctionnements administratifs rendus aberrants par des logiques contradictoires : les uns, comme la DGAL, s'inscrivent dans une logique de sécurité sanitaire alors que les autres, les douanes, sont dans une stricte logique de recouvrement des droits fiscaux. »
Reste posée la question des fraudes éventuelles, comme celles repérées au Royaume-Uni. Chez Tang frères, à Paris, l'un des plus grands détaillants de produits alimentaires asiatiques, on assure que les viandes commercialisées par l'enseigne proviennent exclusivement de France ou de l'Union européenne.
Qu'en est-il pour les autres enseignes, si nombreuses dans un quartier comme le treizième arrondissement de la capitale ? A la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF, ministère de l'Economie et des Finances), on ne dispose pas de données faisant état de malversations ou de trafics. « Aucune action d'inspection ne cible en particulier, à ce jour, le quartier chinois de Paris », indique-t-on.
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