Quinze ans après sa mise en place en 2004, le dépistage organisé du cancer du sein navigue entre deux eaux. Avec sur le papier un consensus de plus en plus fort en faveur d’une évolution du programme, qui prenne en compte les interrogations scientifiques, les évolutions technologiques et les mutations sociétales actuelles. Mais en pratique, aucun changement tangible pour le moment.
Une participation en baisse
Un statu quo qui ne fait plus recette, comme en témoigne le rapport publié mi-février par Santé publique France. Après avoir atteint son maximum (52,9 %) en 2011, « le taux de participation au dépistage organisé (DO) s’est stabilisé avant d’amorcer une baisse et atteindre 50,1 % en 2016 », indique le rapport. En 2017, ce chiffre serait même passé sous la barre symbolique des 50 %, alertait le Dr Brigitte Séradour lors des 40es journées de la Société francaise de sénologie et de pathologie mammaire (SFSPM). En parallèle, la pratique du dépistage individuel (DI) semble aussi marquer le pas. Selon la Cnam, le nombre de mammographies (toutes indications confondues) remboursées entre 2011 et 2017 est resté stable, autour de 3,4 millions d’examens annuels, quand la population cible a augmenté d’un million. « Il y a donc une baisse de la consommation », résume le Dr Séradour. Les femmes jeunes (50-53 ans) semblent les plus touchées par cette désaffection, seules celles de plus de 70 ans continuant à adhérer de manière croissante au dépistage.
Globalement, « si l’on cumule DO et DI, la couverture globale est de l’ordre de 62 à 67 %, indique Frédéric de Bels, responsable du département dépistage à l’INCa. Cela est certes inférieur à l’objectif de 75 % fixé au niveau européen, mais représente quand même les 2/3 de la population cible, ce qui n’est déjà pas si mal ». Le Dr Séradour s’avoue davantage préoccupée : « On est actuellement sur une pente savonneuse et si l’on ne fait pas attention, on risque de perdre très vite les progrès obtenus. »
La personnalisation du dépistage, vœux pieux ou réel espoir ?
En 2017, le plan de rénovation du dépistage proposé par l’INCa à l’issue de la concertation citoyenne avait tenté de corriger le tir, misant notamment sur une meilleure information des patientes et une personnalisation du dépistage. « Il faut remettre de l’humain dans ce dépistage », insiste Frédéric de Bels, tout en reconnaissant qu’à ce jour rien n’a vraiment bougé sur le terrain.
Alors que le généraliste devait être remis dans la boucle, les patientes continuent pour le moment à recevoir le classique courrier d’invitation qui les oriente directement vers le radiologue. De même, les deux consultations de prévention actées par l’INCa, l’une à 25 ans pour repérer les femmes à risque familial, l’autre à 50 ans davantage axée sur le dépistage du cancer du sein proprement dit, n’ont toujours pas vu le jour. « Nous sommes en train de travailler sur leur contenu, et normalement la consultation de 25 ans (déjà budgétée dans le PLFSS 2019) devrait être effective dès cette année, rassure Frédéric de Bels. Mais nous devons aussi développer des outils d’information et d’aide à la décision pour que le médecin généraliste ne se trouve pas sans rien face à sa patiente. »
L’enjeu est de taille, car force est de constater qu’à l’heure actuelle les éléments objectifs permettant d’orienter le choix des femmes ne sont pas légion. Concernant la personnalisation du dépistage en fonction du niveau de risque, de plus en plus en vogue, la HAS s’était penchée sur la question dès 2014. À l’époque, l’institution avait passé au crible près d’une soixantaine de facteurs de risque potentiels de cancers du sein. Cependant, en dehors des femmes porteuses de mutations BRCA 1 ou 2 (qui relèvent d’un circuit à part bien codifié), elle n’avait finalement retenu que sept situations basées essentiellement sur des antécédents personnels ou familiaux justifiant un dépistage renforcé.
Le tabagisme, la consommation d’alcool ou encore une densité mammaire élevée sont pourtant reconnus comme d’authentiques facteurs de risque de cancer du sein. Même chose pour l’obésité dont on sait aussi qu’elle augmente le risque de formes agressives. Mais pour le moment, aucun score de risque validé ne prend en compte ces éléments qui définissent donc une sorte de zone grise où chacun navigue à vue.
L’étude MyPeBS portée en France par le Dr Suzette Delaloge (Institut Gustave Roussy, Villejuif) pourrait permettre d’y voir plus clair. Lancé fin 2018, cet essai randomisé européen inclura 20 000 femmes âgées de 40 à 70 ans et comparera le dépistage standard actuel à une stratégie personnalisée en fonction du risque individuel évalué sur des critères cliniques (antécédents familiaux de cancer, âge, poids, statut hormonal ou encore densité mammaire) et génétiques (recherche sur tests salivaires de polymorphismes associé au cancer du sein).
Si les résultats sont probants, cela pourrait conduire à proposer des mammographies plus fréquentes (rythme annuel) aux femmes à risque élevé et moins fréquentes (tous les 4 ans) aux femmes à bas risque. Avec à la clef un bénéfice espéré en matière de surdiagnostic et de surtraitement, mais aussi de détection des cancers agressifs. Reste que les conclusions de ce travail ne devraient pas être disponibles avant plusieurs années. Et si l’évolution vers ce type de pratique semble certaine à long terme, « on n’y est pas encore », tempère Frédéric de Bels.
En attendant, la personnalisation est donc laissée « au bon jugement du médecin et surtout de la patiente ». Par exemple, une femme en passe de rentrer dans le dépistage sans autre facteur de risque que son âge « pourra se demander si elle veut vraiment commencer tout de suite où attendre d’être plus à risque… »
L’âge de la population cible en question
L’âge est actuellement le seul facteur de risque retenu pour justifier le dépistage organisé standard. Mais même sur ce point, des questions se posent.
Alors que près de 25 % des cancers surviennent avant 50 ans avec beaucoup de formes graves, l’incidence du cancer du sein dans cette tranche d’âge tend à augmenter, s’inquiète le Dr Bruno Cutuli, président de la SFSPM. à l’autre extrémité, 48 % des décès surviennent chez des femmes de plus de 75 ans, pointe de son côté le Collège national des gynécologues et obstétriciens francais. « Exclues du dépistage organisé, trop de ces femmes pensent que la mammographie n’est plus utile », regrette la société savante.
Faut-il pour autant élargir les bornes du dépistage organisé ? Un récent travail du CIRC tend à répondre par la négative, estimant que les données actuelles valident la mise en œuvre d’un programme entre 50 et 75 ans mais sont insuffisantes en deçà comme au-delà.
[Du 5 au 23 août, Le Généraliste republie chaque jour l’un des dossiers qui ont marqué l’année. Celui-ci a été publié le 08/03]
« Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille rien faire avant ou après », nuance Frédéric de Bels. Avant 50 ans, le rapport bénéfice-risque est plutôt défavorable, avec beaucoup de faux positifs et un risque de cancers radio-induits de l’ordre 1/1 000 à 1/5 000. Dans cette population, « mieux vaut donc avoir une approche basée essentiellement sur les antécédents familiaux ».
La donne est un peu différente après 75 ans. « Je suis persuadée de l’intérêt de la mammographie chez les femmes âgées car elles sont très à risque, explique Suzette Delaloge, même s’il peut être ensuite difficile de les traiter, du fait de comorbidités. » Dans cette population, « cela peut être utile de faire des mammographies, appuie Frédéric de Bels, mais il n’y a pas de conduite standardisée et cela reste au cas par cas ». Là encore, la décision reste donc à l’appréciation de la femme et du praticien.
Tomosynthèse ou mammographie ?
La tomosynthèse (ou mammo 3D) remplacera-t-elle bientôt officiellement la mammographie classique pour le dépistage du cancer du sein ? Une étude récente du Jama oncology remet la question sur le devant de la scène, en confirmant sa supériorité en termes de spécificité et de détection de lésions invasives. Cependant, « la plupart des études ont été réalisées avec des appareils du même fabricant », nuance Frédéric de Bels. Par ailleurs, toutes les données sont issues de pays où les taux de détections de cancer sont d’environ 5 cas pour 1 000 personnes dépistées, alors que la France atteint déjà des taux de 7 à 7,5 cas /1 000. « La difficulté est donc de savoir ce que cela apportera réellement en France. » Enfin, la tomosynthèse serait environ deux fois plus irradiante.
Actuellement en France, 400 à 500 machines sont disponibles et environ 10 % des cabinets de radiologie en seraient équipés, mais leur utilisation ne fait l’objet d’aucune recommandation. Saisie sur le sujet, la HAS évalue actuellement les performances de la tomosynthèse et devrait rendre ses conclusions à la fin du trimestre. Si les données sont jugées probantes, l’institution devrait ensuite définir la place de cet examen dans le dépistage organisé.
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