En France, 10 000 décès par an pour un coût approximatif de 400 000 euros sont recensés. En mars 2017, l'OMS a lancé une initiative pour réduire de 50 % les EIG dans le monde au cours des cinq années suivantes. Ce qui pêche, c'est le système de déclarations du système de santé français. « Les freins viennent de la peur de la sanction », explique Mohamed Benaissa, pharmacien hospitalier au centre hospitalier d'Apt (Vaucluse)*. En témoigne le nombre d'EIG recensés par la Haute Autorité de santé (HAS) dans son rapport de 2019 : 1 600 à 1 800 cas. Autre obstacle, le nombre de publications est faible. Les seules publications dédiées (Eneis) l'ont été en 2004 et 2009. L'étude 2009 donc enregistre 75 000 à 395 000 EIG par an en France dont un tiers est dû aux médicaments et la moitié est évitable. Un espoir d’amélioration repose sur la prochaine étude Eneis 3 dont les résultats ne devraient pas tarder.
Manque d'intérêt des directeurs d'hôpitaux et présidents de CME
Outre le manque de moyens financiers, Mohamed Benaissa souligne le manque d'intérêt des managers : « Le contrôle des erreurs médicamenteuses intéresse peu les managers. Certains établissements en déclarent beaucoup, mais d'autres pour des raisons de réputation rechignent à le faire. » Pourtant, l'arrêté du 6 avril 2011 met en place un système de management du circuit médicamenteux en s'adressant directement aux directeurs d'établissements et aux présidents de CME. Il leur demande de mettre en œuvre cette organisation avec une cartographie des risques de l'établissement, la nomination d'un responsable dédié parmi les managers, la formation sur la sensibilisation des personnes. L'arrêté revient aussi sur les obligations de tous les acteurs de la chaîne du soin (prescripteurs, infirmières, pharmaciens hospitaliers). D'ailleurs, ces derniers se sont saisis de la liste des médicaments à risque (MAR). Mais là encore il y a un flou qui empêche la bonne application du dispositif. La liste n'est pas standardisée au niveau national.
Manque de sensibilisation et de formation des personnels
Si les managers font défaut, évidemment les soignants ne suivent pas non plus cette démarche. Un rapport de l'Igas sur le circuit du médicament à l'hôpital publié en 2011 a pointé ces manquements : « Les questions thérapeutiques apparaissent comme le parent pauvre de l'enseignement en faculté de médecine », avec en France le temps d'apprentissage le plus court d'Europe. Cette publication pointe aussi la nécessité d'une formation continue de qualité pour des médicaments en constante évolution.
La HAS dans son rapport de 2019 enfonce le clou sur cette question. Selon le pharmacien, « c'est rare qu'un organe d'État relève la compétence des soignants et demande à ces derniers de se former ».
Implication des tutelles
Malgré toutes ces difficultés, les tutelles s'impliquent énormément. En témoigne la liste des Never Events issue d'une recommandation de la HAS en 2012. Elle déroule une liste de 12 événements indésirables liés au circuit du médicament qui ne devraient jamais survenir. Mais elle n'a jamais été revue depuis lors alors même que sont apparus de nouveaux risques. Plus récemment la certification V2020 laisse une part importante à la sécurisation du médicament.
Alors comment faire pour que les solutions numériques réussissent à sécuriser le circuit du médicament ? Dans le contrat du bon usage du médicament qui n'avait pas entrainé ou peu de sanctions en cas de non-application, un point positif fortement impulsé par les Omedit et ARS et les organismes payeurs a été la centralisation sanitaire des chimiothérapies. L'informatisation des établissements sanitaires a été aussi un vrai succès : « Quasiment 100 % du MCO est informatisé », s'enthousiasme Mohamed Benaissa. Selon lui, c'est par la numérisation et la robotique qu'on trouvera l'issue.
Des robots coûteux
Encore faudra-t-il y mettre les moyens car les logiciels en robotique pharmaceutique sont chers et ont beaucoup moins de prestige que les robots chirurgicaux alors que ces derniers sont apparus bien après ces premiers. « La robotisation de la chirurgie a fait un bond extraordinaire alors que celle des pharmacies est d'une lenteur incroyable », commente le pharmacien. Arpès implantation, il est difficile d'évaluer les économies générées en ETP ou les gains d'actes médicaux.
Des solutions informatiques performantes
Et pourtant, des progrès substantiels pour la sécurisation du circuit du médicament sont possibles via des applications. Par exemple, le système MedEye qui a déjà été testé dans plusieurs hôpitaux européens (projet soutenu par HOPE) a obtenu de très bons résultats en interceptant 1,75 erreur médicamenteuse par jour lors de la distribution des médicaments. Ce dispositif permet par reconnaissance visuelle de scanner, détecter et vérifier les médicaments au chevet du patient, et donc de bloquer les erreurs avant que les médicaments ne soient administrés au patient. Toutefois, aucun hôpital français ne l'a encore expérimenté à ce jour.
Autre système, C-Log permet via des puces RFID de tracer les poches de chimiothérapie pendant tout le parcours de soins du patient. Il peut être utilisé également pour d’autres produits de santé (DMI, produits sanguins labiles)
Une solution encore plus performante comme PharmaClass (Keenturtle) permet de croiser l'ensemble des données de flux patients et donc également de bloquer la moindre erreur d'administration. Elle est actuellement déployée sur quelques hôpitaux français de pointe dans ce domaine (CHU Lille, CH Luneville). En raison des couts d’investissement, de SIH très hétérogènes, très peu d’hôpitaux s’orientent vers ses nouveautés. Malgré ces solutions prometteuses, la sécurisation des soins et la santé de façon plus générale ne seront sans doute pas encore un des sujets mis sur la table pour la campagne électorale qui commence.
* Congrès Convergences, session du mercredi 15 septembre, l'erreur médicamenteuse, de sa genèse à la maîtrise du risque. »
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