Addictions

Prégabaline, des mésusages en hausse

Publié le 22/01/2021
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Après les opioïdes, la prégabaline suscite à son tour la vigilance des addictologues, qui pointent un mésusage croissant, notamment en association avec les opioïdes, dont elle potentialise les effets.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

L’usage abusif et/ou détourné de la prégabaline, antalgique de la famille des gabapentinoïdes autorisé depuis 2004 dans l’indication de douleurs neuropathiques, d’épilepsie et de trouble anxieux généralisé, se répand. En 2016, l’ANSM avait déjà alerté sur ce phénomène. Depuis, la tendance semble s’être amplifiée, comme le suggère une publication de l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies) de décembre, consacrée aux tendances récentes et nouvelles drogues (TREND), évaluées sur l’année 2019 et les deux premiers mois de 2020.

Ordonnances falsifiées

Créé en 1999, ce dispositif, qui s’appuie sur les données collectées par les réseaux d’addictologie de huit grosses agglomérations françaises, assure une veille des phénomènes émergents. « Depuis 2017, observe le rapport, le dispositif TREND fait état d’un développement hors cadre médical du Lyrica® (et ses génériques, ndlr). En 2019, ce phénomène, qui se manifeste notamment à travers la hausse, parfois très importante, de demandes de prescription (en CSAPA, CAARUD, centres de santé communautaires, services médico-psychologiques et unités sanitaires en milieu pénitentiaire), s’accentue dans l’ensemble des agglomérations où le dispositif est implanté ». Le recueil des Ordonnances suspectes, indicateur d’abus possible (OSIAP), mené par le réseau d’addictovigilance, révèle par ailleurs qu’en 2019, la prégabaline est devenue le médicament qui fait le plus fréquemment l’objet d’ordonnances falsifiées.

De la région parisienne à Marseille en passant par Lyon, Bordeaux ou Toulouse, les addictologues identifient les mêmes profils de consommateurs. L’usage se répand essentiellement « au sein de certaines populations précaires et poly-usagères ». On l’observe « notamment chez des personnes originaires des pays de l’Est ou d’Afrique du Nord, qui l’ont soit rencontrée comme un produit de rue, soit se la sont vue prescrire depuis l’adolescence », confirme le Pr Nicolas Authier, pharmacologue-addictologue et directeur de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA). Or, « comme tout produit psychoactif, la prégabaline peut engendrer une pharmaco­dépendance ».

D’autres publics, non suivis par les observations de TREND, pourraient aussi être concernés : à Lyon, Paris et Bordeaux ont été rapportés des cas d’hospitalisation en urgence de jeunes actifs ou étudiants qui en avaient consommé, l’associant à d’autres produits.

Un dépresseur du SNC qui potentialise les effets des opioïdes

Quel que soit le profil, tous recherchent les mêmes effets : éprouver une sensation d’ébriété, réduire l’anxiété et/ou booster les sensations fortes procurées par l’absorption concomitante d’autres drogues (alcool mais aussi héroïne ou méthadone). Un usage détourné qui s’appuie sur les propriétés pharmacologiques de la prégabaline, explique le Pr Authier : « dépresseur du système nerveux central, plus puissant que la gabapentine, elle abaisse la tolérance aux opioïdes et ce faisant, en potentialise les effets. »

Outre le risque d’overdose, il existe aussi un risque potentiel de dépression respiratoire accru en cas d’association à des opioïdes. Un danger « encore peu connu » mais non négligeable, relève le rapport TREND. « Plusieurs cas ont été rapportés aux États-Unis », confirme le Pr Authier. La Food and Drug Administration (FDA) s’en est alarmée fin 2019, réclamant même un nouvel étiquetage qui avertisse des potentiels effets respiratoires chez des patients âgés ou présentant une anomalie respiratoire, et exigeant de nouveaux essais cliniques pour évaluer les risques en combinaison avec des opioïdes. Si ces effets n’étaient pas apparus lors des essais cliniques, « les patients n’étant pas suivis assez longtemps », souligne le Pr Authier, ils justifient de manier la prégabaline avec prudence même dans ses usages thérapeutiques.

Des recos plus strictes pour les douleurs neuropathiques

Dans un avis de 2017, la HAS notait que 1 624 468 prescriptions de prégabaline avaient été faites en 2016, et que son utilisation, principalement pour le traitement de la douleur, était « large et en partie hors AMM », y compris pour des sciatiques ou dorsalgies (14,9 %) et parfois des fibromyalgies. « En psychiatrie, elle est assez peu utilisée, mais pour les douleurs neuropathiques, elle est devenue depuis des années la prescription de première intention, souvent avec du tramadol », observe le Pr Authier. Or les dernières recommandations de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), publiées en 2020, ont formellement rétrogradé la prégabaline au traitement de seconde intention (derrière les antidépresseurs ou la gabapentine). Si elle est prescrite, « la prégabaline n’a pas vocation à être associée avec un opioïde, insiste Nicolas Authier, aucune étude n’ayant prouvé que cela avait du sens »


Source : Le Généraliste