Steve Jobs est décédé en 2011 d’un cancer « guérissable s’il avait été pris à temps ». Le génie de l’informatique avait reculé son opération, souhaitant tester d’abord des médecines alternatives dont il était adepte. L’entrepreneur visionnaire n’a pas mesuré le péril qu’il encourait, qu’une étude ultérieure a révélé : les personnes touchées par le cancer usant de médecines douces en complément des traitements traditionnels risquent deux fois plus de mourir de leur maladie. Non parce que ces « médecines » complémentaires sont en soi délétères. Mais parce que ces patients sont les plus rétifs à la médecine traditionnelle… et sont donc susceptibles de retarder leur traitement.
Les fausses croyances mettent des vies en péril, affirment les auteurs de « Médecine bashing »*. De tout temps, les praticiens ont eu affaire à des « méfiants », mais la situation a évolué. « Aujourd’hui, certains pensent disposer d’informations fiables leur permettant d’expliquer au médecin qu’il se trompe », affirme le Dr Carole Sereni, neurologue à hôpital Saint-Joseph (Paris). Et à l’heure où la rougeole fait à nouveau des morts et le cancer du col de l’utérus se « porte bien » en France, faute de vaccinations anti-HPV suffisantes, elle et son mari, le Dr Daniel Sereni, spécialiste en médecine interne à l’hôpital Saint-Louis (Paris) ont souhaité lancer un cri d’alerte.
D’après les anciens chefs de service, il est urgent de redorer le blason de la médecine. Preuves à l’appui, « Médecine bashing » démonte les récentes entreprises de désinformation en santé : non, il n’y a pas eu de catastrophe sanitaire liée au vaccin anti-H1N1, oui, la vaccination sauve des millions de vies contre quelques effets secondaires, et la balance bénéfice-risque des statines est largement positive... contrairement aux régimes à la mode qui font souvent plus de mal que de bien, etc.
Les autorités pointées du doigt
La désinformation touche « même les bac + 5 », affirme la praticienne. Qui n’a pas craint la sclérose en plaques après une injection du vaccin hépatite B ? Au final, les travaux ont montré l’absence de lien avec cette maladie neurodégénérative. Cette affaire sanitaire est édifiante, relate Carole Sereni. La dizaine de cas déclarés après une injection sont « des coïncidences individuelles statistiquement attendues ». Montés en épingle par les antivax, ces cas ont donné lieu à des plaintes. Contredisant toutes les études scientifiques, des instances judiciaires ont reconnu un lien de causalité. « Finalement, faute de vaccinations, des milliers de personnes ont contracté le virus. Or, avoir l’hépatite B expose au risque du cancer du foie », rappelle la neurologue.
Ces décisions de justice révèlent le fossé qui s’est parfois creusé entre nos élites et la démarche scientifique, estiment les auteurs. Carole Sereni dénonce la responsabilité des autorités politiques et sanitaires et cite notamment la frilosité de la Haute autorité de santé. Si la HAS projette de recommander le vaccin HPV pour tous les garçons de 11 à 14 ans, elle n’a toujours pas préconisé de le rendre obligatoire. « Ce vaccin sauve poutant des milliers de vies ailleurs en Europe ». La neurologue déplore le retard français et la « défiance anti-vaccins », beaucoup plus forte en France qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Les manipulateurs comblent le vide
Ce n’est donc pas le patient « crédule » qui figure au banc des accusés de « Médecine bashing ». « Beaucoup de personnes développent de réels symptômes (fatigue, douleurs, etc.), et la médecine n’a parfois pas de réponse », explique l’auteure qui n’épargne pas non plus le corps médical. « Étrangement, beaucoup de médecins n’aiment guère la science », estime-t-elle, constatant tout de même un enthousiasme scientifique supérieur chez les plus jeunes. Elle épingle les confrères qui sans leur dire prescrivent à leurs patients des placebos « car ils sont incapables de dire au patient : "je ne sais pas". C’est de l’abus de pouvoir », affirme-t-elle.
Ces « non-réponses » médicales « forment un vide que viennent combler des manipulateurs ». La neurologue accuse ici les producteurs de la désinformation, souvent intéressés à titre financier comme les vendeurs de sérologies censées dépister Lyme, ou certains courants idéologiques douteux derrière les antivax.
« Médecine bashing » va pourtant bien au-delà de l’accusation et en appelle à un sursaut des institutions pour améliorer la pédagogie, et à un meilleur dialogue entre toutes les parties prenantes : médecins, patients, mais aussi l’industrie.
* « Médecine bashing », des Drs Daniel et Carole Sereni, éditions du Cerf, 289 p., 20 euros.
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