Infections respiratoires : comment faire décoller la vaccination ?

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Publié le 06/12/2024
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L’Académie nationale de médecine a organisé un colloque pour repenser la politique vaccinale contre les infections respiratoires début novembre, la couverture restant insuffisante chez les sujets à risque. Pour convaincre, les soignants ont un rôle pivot à tenir en étant eux-mêmes vaccinés.

Depuis le début de la campagne, la vaccination contre la grippe est en recul par rapport à l’an passé

Depuis le début de la campagne, la vaccination contre la grippe est en recul par rapport à l’an passé

Si le passage à 11 vaccinations obligatoires pour les nourrissons a permis de booster la couverture des enfants nés après 2018, d’autres campagnes, ciblant les personnes âgées (grippe, Covid-19, pneumocoques et zona), restent insuffisamment suivies.

Population « plus individualiste » et désinformation

Lors d’un colloque intitulé « Repenser notre politique vaccinale contre les infections respiratoires : saurons-nous innover ? », organisé à l’Académie nationale de médecine (ANM) en collaboration avec l’Académie de pharmacie, médecins, économistes, décideurs publics et représentants de la société civile ont exploré plusieurs pistes pour améliorer la couverture vaccinale.

Cette année, la vaccination contre la grippe apparaît « en recul de 16 points depuis le début de la campagne » par rapport à l’an passé, déplore le Dr François Sarkozy, président du cabinet de conseil FSNB Health & Care et membre de l’Académie de pharmacie. Cette tendance doit interroger les décideurs, mais aussi les médecins, alors que la vaccination est « le seul outil de prévention à leur main », insiste la Pr Agnès Buzyn, à l’origine de l’extension de l’obligation vaccinale pour les nourrissons en 2018.

L’ancienne ministre de la Santé liste les défis à relever : le vieillissement de la population, qui se traduit par une hausse du nombre de personnes vulnérables ; l’essor des maladies chroniques, qui touchent actuellement 13 millions de Français ; le défi démocratique face à une population « plus individualiste », mais aussi « plus sceptique », qui veut être « actrice de sa santé » ; l’impact des usages du numérique et leur capacité à produire de la désinformation et des phénomènes de bulle informationnelle, problématique face à laquelle le ministère est « désarmé » ; ou encore la défiance vis-à-vis de la science, une « forme d’obscurantisme » qui souligne le besoin d’une « réflexion sur la formation scientifique de la population ».

Un effet Covid à capitaliser

Malgré ce contexte, des succès récents peuvent être inspirants et orienter l’action publique. Le Covid a ainsi changé la donne sur la perception de la vaccination, observe la Pr Anne-Claude Crémieux, présidente de la Commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé (HAS). « Toutes les données le montrent : l’acceptabilité a augmenté de 10 % depuis 2019 » pour atteindre 84 % de Français favorables à la vaccination. Cette tendance s’est traduite par une hausse de la couverture vaccinale contre la grippe en 2021.

Il est parfois avancé que la population se méfie de l’innovation, mais la Pr Crémieux nuance ce discours en rappelant « l’effet Beyfortus » et la ruée des jeunes parents sur les doses d’immunisation contre le virus respiratoire syncytial (VRS) pour leurs nouveau-nés. Le succès de la campagne d’immunisation des nourrissons montre que « quand tout le monde s’y met, médecins et médias, ça fonctionne, juge le Pr Bernard Castan, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf). Il faut s’en inspirer. On est peut-être trop passifs ».

Un des ressorts de ces réussites relève de la confiance de la population envers les professionnels de santé et de l’implication de ces derniers dans les campagnes vaccinales. Les soignants ont un « rôle fondamental » à jouer dans la conviction des patients, souligne le Dr Jean-François Thébaut, cardiologue et vice-président de la Fédération française des diabétiques, pour qui la compréhension des motivations de l’hésitation vaccinale et du refus est essentielle.

Convaincre les soignants, une priorité

La confiance est « d’abord à restaurer chez les soignants », ajoute le Pr Yves Buisson, biologiste et membre de l’ANM. L’hésitation vient parfois « plus du médecin que du patient », poursuit-il, plaidant pour un effort de communication à mener auprès de praticiens « pas toujours bien informés » des recommandations, mais aussi auprès de la population. Les spots TV par exemple sont « à multiplier », encourage le Pr Buisson. L’hésitation vaccinale, « c’est la bataille qu’on ne peut pas perdre », appuie le Pr Castan, appelant à « remonter sur le ring » avec une approche qui ne reproduise pas les « erreurs du passé ».

Les patients veulent savoir si les professionnels de santé sont vaccinés

Dr Jean-François Thébaut, vice-président de la FFD

La mobilisation des professionnels implique qu’ils soient eux-mêmes vaccinés. Afficher leur statut vaccinal pourrait ainsi emporter l’adhésion des patients. Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), et le Dr Thébaut avancent l’idée d’un badge que les soignants vaccinés pourraient porter. « Les patients veulent savoir si les professionnels de santé sont vaccinés », assure le cardiologue.

La communication auprès du grand public gagnerait aussi à être assurée par un porte-parole unique, à l’image du rôle endossé par le Pr Alain Fischer lors du déploiement de la vaccination contre le Covid, estime la Pr Odile Launay, infectiologue, la multiplication des intervenants tendant à brouiller le message.

L’effort de pédagogie des médecins pourrait être accompagné par un accès au statut vaccinal des patients, alors que la moitié des Français « ne savent pas s’ils sont à jour », pointe la Pr Crémieux. Ce « passeport vaccinal » permettrait que « l’information circule entre les professionnels de santé habilités à administrer les vaccins », estime le Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Les outils numériques pourraient faciliter la personnalisation des recommandations tout en contournant leur complexité, notamment quand elles sont liées à des facteurs de risque, ajoute le Pr Jean-Louis Koeck, fondateur de MesVaccins.net.

Aller vers, simplifier, financer

Les généralistes devraient disposer d’un stock de vaccins dans les cabinets, leur ouvrant la possibilité de « proposer la vaccination en fin de consultation », propose le Dr Devulder. Le rôle central de ces médecins de première ligne auprès de leur patientèle mériterait également d’être valorisé, poursuit-il. Dans la même optique, pour « ne pas rater des opportunités », le Pr Castan plaide pour que les hospitalisations soient des occasions de vacciner.

Les médecins devraient pouvoir proposer la vaccination en fin de consultation

Dr Franck Devulder, président de la CSMF

Les stratégies dites d’aller vers, destinées à toucher les populations les plus éloignées des soins, sont à développer jusque « dans les supermarchés », ajoute le Dr François Sarkozy. La mise à disposition d’innovations, et notamment de nouveaux modes d’administration, comme la vaccination nasale, peut aider, juge le Pr Bruno Lina, virologue aux Hospices civils de Lyon.

Du côté des recommandations, une « simplification » assurerait une plus grande lisibilité. La couverture vaccinale contre les infections à pneumocoques n’atteint que 5 % de sa cible : « ce n’est pas proposé parce que c’est complexe », la vaccination étant liée à des facteurs de risque, souligne la Pr Crémieux. Elle suggère que le calendrier vaccinal soit « raccroché » à des âges ou des « périodes de vulnérabilité ».

La nouvelle stratégie vaccinale pour la période 2025-2030 sera bientôt à disposition

L’effort de clarification est à porter au niveau européen, selon la Pr Buzyn. Alors que les calendriers vaccinaux sont propres à chaque pays, elle invite à « mettre de l’ordre » dans les recommandations européennes. De même, assurer une prise en charge homogène des vaccins contribuerait à la lisibilité des recommandations. La prise en charge à seulement 30 % de la vaccination contre le VRS du sujet âgé « est difficile à comprendre » et peu incitative, relève la Pr Launay.

Des évolutions sont en préparation, annonce la Dr Patricia Minaya Flores, adjointe à la sous-direction de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques du ministère de la Santé. La nouvelle stratégie vaccinale pour la période 2025-2030 sera « bientôt » à disposition, précise-t-elle. Déjà, la vaccination contre les méningocoques va être proposée aux adolescents en même temps que celle contre les HPV.

Plus globalement, la stratégie vaccinale repose en partie sur une volonté politique, juge le Pr Buisson. La vaccination doit « devenir une priorité de santé publique » et l’affirmation « doit venir d’en haut », plaide-t-il.


Source : Le Quotidien du Médecin