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Marta Giner Asins : "Le droit de la concurrence sera toujours utile pour garantir un fonctionnement correct des marchés"

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Publié le 13/05/2020
Marta Giner Asins, avocate spécialisée en droit de la concurrence (cabinet d'avocats Norton Rose Fulbright) tire les leçons de la crise du Covid-19. Propos.
Covid-19

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La DGS vient de centraliser l'achat de médicaments en tension.

Oui, en effet, et la réactivité des laboratoires a été très rapide. Ils ont répondu à l'initiative de la Direction générale de la santé pour centraliser les achats de médicaments en tension dans un état d'esprit de coopération pour contribuer à l’effort de gestion de la crise, tout en s’assurant de la conformité de leur intervention au regard des règles de droit.

De manière générale, concernant ce type d’initiatives, qui sont nombreuses dans la présente crise, et même pour celles dont la légitimité est évidente, il convient de vérifier que les règles de concurrence sont respectées. Les laboratoires doivent se poser les bonnes questions. Certes, le droit de la concurrence peut ne pas apparaître comme la priorité absolue dans cette période exceptionnelle, mais il ne doit pas être négligé, car il permet de sécuriser les initiatives mises en place, et d’éviter des risques par la suite. Les autorités de la concurrence ont souligné qu'elles allaient certes analyser les accords de coopération de manière plus souple, mais elles n’ont pas pour autant accordé un blanc-seing. L’analyse des accords envisagés doit être d’autant plus précise, avec un découpage au scalpel de ce qui est légitime et ce qui l'est moins, afin d’expurger les accords de tout élément problématique.  

Le droit à la concurrence n'a-t-il pas montré ses limites dans la crise actuelle ?

Je pense qu’il ne faut pas mélanger deux problèmes distincts. Il existe aujourd’hui une tendance au protectionnisme, qui est sûrement naturelle dans le contexte actuel, mais qui pousse à voir les règles de concurrence, et en particulier les règles de contrôle des concentrations, comme un danger pour les intérêts qu’on vise à protéger. Le droit de la concurrence vise à garantir un fonctionnement correct des marchés : c’est lorsque tous les opérateurs jouent à armes égales que la partie peut se dérouler dans les meilleures conditions. Cela n’est pas incompatible avec des initiatives comme celle de protéger les entreprises françaises d’acquisitions opportunistes, qui relèvent des règles relatives au contrôle des investissements étrangers – et dans ce domaine, le ministre de l’Economie a clairement expliqué sa volonté d’appliquer les défenses existantes, voire de les renforcer en abaissant le seuil de 25 % à 10 %. Il convient de s’assurer que ces initiatives sont appliquées de manière cohérente avec le contrôle des concentrations, mais les deux ne s’excluent pas.

Par ailleurs, on a pu reprocher au droit de la concurrence de bloquer des initiatives bénéfiques. Au cours de ces dernières semaines, il faut reconnaître que les autorités se sont mises en ordre de marche pour valider, dans des délais très courts, les accords légitimes de coopération. La Commission européenne a publié une lettre de confort dans un temps record pour homologuer l'initiative Medicines for Europe qui visait à échanger des données en termes de stockage des médicaments.

En outre, l’action des autorités a permis de faire face à des abus : un exemple récent s'est produit en Pologne où des entreprises ont cherché à renégocier des contrats afin de revendre à des prix plus élevés des produits stratégiques, tels que des masques. Ainsi, manié avec pragmatisme et efficacité, le droit à la concurrence peut être un élément clé dans la résolution de la crise, autant dans la validation rapide de contrats de coopération que dans la sanction de comportements abusifs.

Quel est le contenu des lignes directrices que vient de prendre la Commission pour garantir l'approvisionnement des médicaments ?

Les nouvelles lignes directrices prévoient un certain nombre de mesures et instructions aux États membres visant à assurer une gestion de la crise basée sur la solidarité et la cohérence des politiques nationales. Elles introduisent par exemple des mesures de flexibilité réglementaire, comme la facilitation des variations aux AMM, ou la simplification des procédures de contrôle pour faciliter l’export. Elles préconisent également des mécanismes visant à assurer une répartition équitable des médicaments, tels que par exemple, la multiplication des achats groupés : ainsi, l’initiative de la DGS par le biais de Santé publique France s’inscrit directement dans cette tendance.

Ces lignes directrices sont accompagnées d’une initiative visant à faciliter la validation des accords de coopération entre concurrents pouvant contribuer à la gestion de la crise sanitaire. Il s’agit de la réintroduction des « lettres de confort », qui permettent aux entreprises de consulter la Commission en amont d'un contrat afin d’obtenir une validation informelle. Sur le fond, les règles de concurrence ne changent pas : mais le droit de la concurrence étant un droit souple et adaptable aux conditions de marché, il permet de prendre en compte les efficiences résultant des accords de coopération envisagés afin de pouvoir les valider.

Ce droit à la concurrence ne risque-t-il pas d'être impacté par le concept de souveraineté industrielle qui s'impose dans le débat public ?

Que l'on définisse une nouvelle politique industrielle prenant en compte le nouveau contexte mondial, pourquoi pas ? mais pas au détriment de la concurrence. Personnellement je pense que la résolution de la crise doit passer par une consolidation de l'Europe plutôt que l'inverse. Le droit de la concurrence sera toujours utile pour garantir un fonctionnement correct des marchés. Il fait la preuve dans la crise actuelle d'une très bonne résilience.


Source : lequotidiendumedecin.fr