La 2e vague de l’épidémie de Covid-19 s’annonce plus virulente que la première. Êtes-vous inquiets d’un risque de saturation du système de santé français ?
Pr Pierre-Louis Druais : Bien évidemment. Nous ne sommes pas confrontés à un tsunami comme en mars dernier. On assiste à une montée progressive des cas. Il faudra encore une quinzaine de jours pour avoir une première idée de l’impact du confinement partiel actuel sur l’évolution du virus. À l’évidence, cet impact ne sera pas aussi fort que celui du confinement du printemps qui était beaucoup plus violent et total.
Redoutez-vous comme au printemps une baisse de fréquentation des cabinets de médecine générale pour des motifs hors-Covid ?
Pr P-L.-D. : Non. Les patients ont compris qu’ils avaient intérêt à consulter quand ils en avaient besoin. Depuis jeudi dernier, je n’observe pas de modification majeure de notre activité. Nous recevons plus de patients Covid qu’avant, j’en vois plus ces deux dernières semaines qu’en mars, avec parfois des formes symptomatiques. Je n’ai pas encore eu à gérer de report de chirurgies lourdes urgentes pour des pathologies cancéreuses en particulier. Par contre, nous commençons à voir l’impact de l’épidémie sur le report d’examens complémentaires invasifs et d’opérations chirurgicales programmées non-urgentes. Lors de la première vague, on avait gelé tous les soins primaires, et cela a eu des conséquences importantes.
Vous pensez donc que cette fois-ci, on n’assistera pas à des retards de soins ?
Pr P-L.-D. : Le discours est complètement différent. Tout le monde a bien compris qu’il ne fallait pas répéter cette erreur. Au printemps dernier, très vite, le conseil scientifique avait alerté sur l’arrêt du suivi des soins de certains patients, les Français ne se rendaient plus aux urgences. Aujourd’hui, la situation est différente et les médecins généralistes auront un rôle majeur à jouer dans ce contexte épidémique.
Si la charge hospitalière devient trop forte, il faudra être capables de sélectionner des patients à soigner à domicile sans perte de chance.
Le président de la République a souligné les limites du dépistage massif du fait du très grand nombre de personnes contaminées. Faut-il revoir complètement cette stratégie et quelle doit être la place des généralistes dans le dépistage ?
Pr P-L.-D. : Les tests antigéniques vont beaucoup nous aider. Ils pourront être réalisés par les pharmaciens, les infirmiers, les services d’urgence ou les médecins généralistes. Nous pouvons espérer qu’il y aura une augmentation du dépistage, notamment chez les patients symptomatiques. Là où je suis moins tranquille, c’est que l’on recommence à faire de l’open-bar. Les asymptomatiques pourront être testés alors que l’on sait très bien que pour eux la fiabilité du test est moins bonne. C’est complètement inutile. Si on dépiste davantage les personnes symptomatiques, cela permettra d’isoler les cas positifs et de repérer les cas contacts. Une chose cependant ne fonctionne pas, c’est l’isolement qu’il faudrait organiser avec des places en hôtel ou dans des structures de recours. L’idée avait été évoquée mais on n’en entend plus parler.
D’un point de vue pratique, pensez-vous que les médecins généralistes vont massivement réaliser ces tests antigéniques qui requièrent une certaine organisation ?
Pr P-L.-D. : Oui. À partir du moment où un médecin généraliste est déjà organisé et investi dans l’accueil de patients Covid, c’est qu’il a déjà créé son infrastructure. Dans mon cabinet, nous recevons les patients Covid dans une pièce à part, que l'on a dédiée à ça et équipée de façon minimaliste pour pouvoir la désinfecter. Depuis le mois de mars, nous faisons en sorte que les patients ne soient plus regroupés en salle d’attentes, ils attendent dehors ou à l’intérieur seuls et on aère les pièces. Je travaille avec une chasuble, je porte des gants, le masque… et la réalisation du test, ce n’est quand même pas sorcier. Tous les généralistes ne pratiqueront pas ces tests antigéniques mais un grand nombre, oui. Et ce ne sera pas leur seule tâche dans cette épidémie.
Quelles autres missions peuvent-elles être accomplies par les médecins généralistes ?
Pr P-L.-D. : Nous finalisons avec la HAS un document pour permettre la prise en charge à domicile de patients Covid oxygéno-requérants. Elle pourra s’appliquer à des formes sévères mais pas graves, soit à des patients qui sortent d’hospitalisation qui ont besoin encore d’oxygène et d’être surveillés, soit à des personnes qui ne pourront pas être hospitalisées demain quand il y a aura une saturation, soit à ceux qui ne souhaiteront pas aller à l’hôpital. Ces personnes doivent pouvoir être prises en charge chez eux. Nous avons défini un cadre de patients éligibles et non éligibles selon des critères (majeurs ou mineurs) de patients qu’il faudra surveiller selon un protocole bien structuré avec l’aide d’une infirmière et d’un kinésithérapeute selon les besoins, d’une relation d’appui avec un service hospitalier de référence de pneumologie ou de réanimation. Je défends l’idée que si, dans les endroits où la proximité ou la disponibilité hospitalière est un peu complexe, 25 000 généralistes peuvent prendre en charge 3 à 4 patients sur les deux mois, cela peut faire 100 000 patients sévères suivis en ambulatoire et non hospitalisés. On peut, sur ces modèles-là, voir des Ehpad développer des prises en charge de patients dans leurs murs.
Il n’est pas impossible que survienne une nouvelle vague de Covid à terme, soit automnale ou hivernale comme la grippe, soit une recirculation après le confinement. [...] Il va falloir apprendre, dans cette société, à vivre avec le coronavirus et même avec des pandémies, car il y en aura d’autres !
Avec cette évolution, la réactivation des centres Covid s’impose-t-elle ?
Pr P-L.-D. : Cela dépendra de l’incidence du nombre de cas. Dans certaines régions, des confrères vont peut-être se réinvestir dans ces centres mais nous ne sommes moins confrontés à une vague brutale qui le nécessiterait, du moins pour l’instant. Il n’est pas absolument nécessaire de mettre en place cette organisation mais il est indispensable de l’anticiper. Si, à un moment donné, la charge hospitalière devient trop forte, il faudra être capables de sélectionner des patients à soigner à domicile sans perte de chance. Et si l’on peut gagner 3, 4 ou 5 jours sur une hospitalisation, cela permet de libérer des places !
Le Conseil scientifique prédit d’éventuels épisodes épidémiques au-delà de la 2e vague. Quels enseignements en tirer pour l’organisation de la société et du système de santé pour y faire face ?
Pr P-L.-D. : En l’absence de vaccin, on peut considérer que l’on aura tous les ans une épidémie de coronavirus sauf si elle disparaît comme l’a fait le SRAS. Par ailleurs, il demeure des inconnues sur les indications et sur les modes d’action des vaccins dans les tuyaux. Il y aura donc des protocoles pour des populations données. Cela sera graduel et il faudra organiser la vaccination de la population en Europe et dans le monde. Il n’est pas impossible que survienne une nouvelle vague de Covid à terme, soit automnale ou hivernale comme la grippe, soit une recirculation après le confinement si on recommence les erreurs commises pendant les vacances. Pour être en cohérence avec les discours, il va falloir apprendre, dans cette société, à vivre avec le coronavirus et même avec des pandémies, car il y en aura d’autres ! Les gens devront inscrire dans leur mode de vie les mesures de protection et de prévention.
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