Addictologie

Sucre de came

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Publié le 29/06/2018
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À terme, le pouvoir addictif du sucre peut avoir de graves conséquences métaboliques, mais aussi hépatiques. Au Congrès d’addictologie de l’Albatros, une plénière fut consacrée à ce sujet de santé publique mêlant junk food, dépendance, mais aussi marketing.
Coca

Coca
Crédit photo : LEONELLO CALVETTI/SPL/PHANIE

L’un des invités vedettes du dernier Congrès international d’addictologie de l’Albatros (6 au 8 juin, Paris) fut le sucre. Ou plus exactement Serge Ahmed, psychopharmacologue et neurobiologiste, responsable d'une équipe de recherche CNRS à l'université de Bordeaux, qui s’est fait connaître au milieu des années 2000 pour ses travaux sur le pouvoir addictif du saccharose. Il a démontré que chez l’animal, le sucre a un pouvoir attractif et renforçant plus intense que la cocaïne ! « Quand des animaux sont exposés de manière chronique à cette drogue par voie intraveineuse, ils s’en détournent très rapidement au profit d'une boisson sucrée quand celle-ci leur est proposée », explique Serge Ahmed. La boisson donnée aux rats contient une proportion de sucre équivalente à celle des sodas.

Depuis, le pouvoir addictif du sucre a été comparé à d'autres drogues, comme l'héroïne, la nicotine ou la méthamphétamine, avec à chaque fois le même résultat. D’autres expérimentations ont enfoncé le clou, révélant que les animaux préfèrent une boisson sucrée à une stimulation directe maximale intracérébrale de leur circuit de la récompense.

Stimulation des circuits de la récompense

Des travaux de neuro-imagerie réalisés chez l'homme ont montré, après l'absorption de sucre, une augmentation de l'activation de zones intracérébrales à l'origine de la sécrétion de la dopamine impliquée dans les circuits de la récompense. « Ce phénomène comportemental peut faire l'objet de nombreuses interprétations et discussions, conclut Serge Ahmed. Mais une chose est certaine, le sucre a un pouvoir addictif plus important qu’on ne le soupçonnait jusqu'à présent ! De manière générale, on estime que 5 à 10 % des personnes présentent les critères d'addiction alimentaire, et les aliments contenant des sucres ajoutés sont le plus souvent impliqués. »

Risque de NAFLD augmenté

Cette addiction a des conséquences majeures, en premier lieu d’ordre métabolique. Une étude effectuée sur 851 sujets sains vivant à Ankara a montré une corrélation entre l’addiction alimentaire (évaluée par les Yale Food Addiction Scale et Eating Attitude Test-26) et l’augmentation de l’IMC, du tour de hanche et de taille (Plos One, 2018). Mais le pouvoir addictif du sucre peut aussi avoir des conséquences hépatiques. Il augmente en particulier le risque de stéatoses hépatiques métaboliques (NAFLD*) et de NASH**, maladies dont on parle tant aujourd’hui. « Elles sont particulièrement courantes : un quart de la population mondiale aurait une NAFLD qui, dans 20 % des cas, évolue vers une NASH, avec des risques de fibrose et de cirrhose, voire une évolution vers un cancer. Aux USA, la NASH est devenue la deuxième cause de transplantation hépatique, derrière l’alcool, explique Pr Rodolphe Anty, gastro-hépatologue au CHU de Nice. Ces pathologies sont très liées à l’obésité et au syndrome métabolique. » L’implication de l’insulino-résistance est majeure, et 70 % des patients diabétiques auraient une NAFLD. D’un point de vue alimentaire, la junk food intervient dans la survenue des stéatoses et inflammations hépatiques, « en particulier via des apports importants en fructose industriel », ajoute le Pr Anty. Une méta-analyse montre que la consommation de soda augmente le risque de NAFLD (QJM, 2015). Sachant qu’il existe une corrélation entre l’augmentation de la consommation de soda dans le monde et la croissance de la prévalence de l’obésité et de la NAFLD, les boissons sucrées constituent aujourd’hui une cible clairement identifiée pour corriger ces problèmes de santé publique.

Pour le Pr Anty, ce sujet mérite d’être abordé en amont, au niveau sociétal, pour intervenir dès le plus jeune âge : « D’après un modèle proposé par le psychiatre suédois Erik Hemmingsson, la "mauvaise" recette favorisant l’attirance vers la junk food commence dès l’enfance, avec un environnement socio-économique et/ou familial défavorable. Un sentiment d’insécurité, une hypersensibilité au stress, une anxiété conduisant à des anomalies biologiques avec – entre autres – un excès de libération de cortisol, orientent des enfants vers une “auto-médication à la junk food" dans le but de diminuer leur stress, leur inconfort psychologique et émotionnel. Un marketing efficace suffit alors pour que se mettent en place les mauvaises habitudes ou des “addictions subtiles”. »

* NAFLD : Non Alcoholic Fatty Liver Disease ** NASH : Non Alcoholic Steato Hepatitis

Dr Nicolas Evrard

Source : Le Généraliste: 2841