S’il est difficile de dire à quand remonte la première épidémie de peste, notons néanmoins qu’elle est déjà évoquée dans l’Ancien Testament. Ainsi, dans le Livre de Samuel, Yahvé impose un choix à David : « Faut-il qu’il advienne trois années de famine dans ton pays ou que tu fuies pendant trois mois devant ton ennemi qui te poursuivra, ou qu’il y ait pendant trois jours la peste dans ton pays ». David optant pour la deuxième solution, « Yahvé envoya la peste en Israël depuis le matin jusqu’au temps fixé, et le fléau frappa le peuple et soixante dix mille hommes du peuple moururent depuis Dan jusqu’à Beersheba».
La mort noire (partie I)
« La vengeance d’Apollon »
La peste semble également avoir frappé l’Egypte pharaonique mais les premières épidémies avérées ont pris place en Grèce. La maladie, considérée comme la « vengeance d’Apollon », est ainsi décrite par Thucydide vers - 430 avant Jésus-Christ sous le nom de peste d’Athènes alors que la guerre du Péloponnèse opposant Athènes à Sparte bat son plein : « Athènes se vit frappée brusquement et ce fut d’abord au Pirée que les gens furent touchés; ils prétendirent même que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits [...] Puis le mal atteignit la ville haute et, dès lors le nombre des morts fut beaucoup plus grand. (…] Le mal vous prenait soudainement, en pleine santé. On avait tout d’abord de fortes sensations de chaud de la tête; les yeux étaient rouges et enflammés; le pharynx et la langue étaient à vif, le souffle sortait irrégulier et fétide. Puis survenaient, à la suite de ces premiers symptômes, l’éternuement et l’enrouement; alors en peu de temps le mal descendait sur la poitrine, accompagnée d’une forte toux. Lorsqu’il se fixait sur le cœur, celui-ci en était retourné; et il survenait des évacuations de bile, sous toutes les formes [...] Le corps était semé de petites phlyctènes et d’ulcérations».
La mort noire (partie II)
La « peste antonine » frappe le monde romain
L’Empire romain va ensuite connaître à son tour d’importantes épidémies, la plus célèbre et la mieux documentée étant la peste antonine qui sévit à Rome en 186 après Jésus-Christ. La légende veut qu’un légionnaire ayant pénétré dans le temple d’Apollon, après la prise de Seleucie sur le Tigre, soit le responsable de l’épidémie en ayant ouvert un coffre qui exhala un souffle pestilentiel. L’arrivée et l’extension de l’épidémie en Italie sont bien connues grâce aux ouvrages de Galien. Il est fort possible que le départ précipité de ce dernier, en 166, s’explique par le désir de fuir l’épidémie. Mais Galien fut rappelé de Pergame par les empereurs et dut rentrer en Italie. Les deux empereurs, Marc Aurèle et Lucius Verus, avaient en effet massé d’importantes troupes dans le nord de l’Italie, à Aquilée, pour faire face aux menaces barbares dans les régions danubiennes. Les troupes furent sévèrement touchées par l’épidémie dans l’hiver 168-169, et les empereurs firent appel à de nombreux médecins, dont Galien. Une autre épidémie, de moindre ampleur, connue sous le nom de peste de Cyprien éclata vers 250, touchant surtout l’Afrique du Nord et l’Europe occidentale.
Trois cents cadavres dans la cathédrale
La peste justinienne, première épidémie du Moyen Age va se propager dans toute la sphère méditerranéenne à partir de 540, atteignant son paroxysme en 592. Partie d’Egypte, où elle aurait fait 10 000 morts par jour, l’épidémie va atteindre l’Italie puis la France. Après avoir remonté le Rhône et la Saône, l’épidémie va traverser la Manche. Jusqu’en 767, la peste va revenir, sans qu’on puisse expliquer ce fait, tous les 9 à 13 ans sur les rives françaises de la Méditerranée et remonter le cours du Rhône. 0n vit en elle la manifestation de la vengeance ou de la colère divine, Dieu ne supportant plus les péchés des hommes, il fallait donc exhorter sa clémence, faire « repentance » et demander à la Vierge et aux saints d’intercéder auprès de lui pour apaiser l’ire divin.. C’est ainsi qu’on pria particulièrement Saint-Sébastien pour la première fois à Rome en 680. Grégoire de Tours l’évoque dans son « Histoire des Francs » : à Arles, en 549, « la province est cruellement dépeuplée » ; à Clermont, en 567, « un certain dimanche on compta 300 cadavres dans la cathédrale». La lésion causée par la pete est ainsi décrite : « Il naissait à l’aine ou à l’aisselle une plaie en forme de serpent dont l’action sur les hommes était telle qu’ils rendaient l’âme le deuxième ou le troisième jour et que sa violence ôtait complètement le sens. »
La mort noire (partie III)
Peste de 1347 : 25 millions de morts à travers l’Europe
Par la suite, à partir du IXe siècle, la peste semble disparaître en Occident. Mais c’est pour mieux revenir cinq siècles plus tard, l’épidémie tuant selon les estimations 25 à 50% de la population européenne. De 1347 à 1352 , 25 millions de personnes, sans distinction sociale ou sexuelle, vont périr. Les chiffres sont hallucinants : 100 000 morts à Venise, 50 000 à Paris, 25 000 à Lyon.
Ce sont des marins gênois revenus de Caffa, un comptoir de la mer Noire, qui sont à l’origine de l’épidémie. Attaqués par des Mongols, ceux-ci s’étaient révélés des précurseurs de la guerre bactériologique en catapultant sur eux des corps de pestiférés… À l’arrivée des douze bateaux à Messine, le mal va poursuivre inexorablement sa route. De la Sicile à Gênes en passant par la Sardaigne, avant d’envahir la France entière en remontant les routes et les fleuves.
[[asset:image:1711 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]L’épidémie va exacerber les haines, les Juifs et les lépreux étant accusés de répandre le mal en empoisonnant l’eau des puits. 900 Juifs furent ainsi brûlés vifs dans un cimetière de Strasbourg. Dans le même temps, pour conjurer le « fléau de Dieu », 800 000 pénitents parcourent l’Europe en se flagellant pendant trente trois jours et demi, soit autant d’années qu’a vécu Jésus-Christ. Le pape Clément VI s’émeut alors de tout des débordements: « déjà les flagellants sous prétexte de piété ont fait couler le sang des Juifs que la charité chrétienne doit préserver et protéger... on peut craindre que par leur hardiesse et impudence, un grave degré de perversion ne soit atteint si des mesures sévères ne sont pas prises immédiatement pour les supprimer » . Philippe VI à son tour ordonnæ, le 13 février 1350, ordonnæ « que cette secte damnée et réprouvée par l’Eglise cesse »
Après cette épidémie cataclysmique, la peste va à intervalles réguliers faire son retour en Europe, comme, par exemple, à Paris tout au long du XVIe siècle.
Paris touché par plusieurs épidémies au XVIe siècle
Ainsi, durant l’épidémie de 1510, le Parlement demandæ à la Faculté de médecine six de ses docteurs, lesquels, avec six barbiers, vont donner leurs soins aux pestiférés de Paris.Une ordonnance du prévôt de Paris (16 novembre 1510) enjoint à ceux qui occupent des maisons infectées « de mettre à l'une des fenêtres ou autres lieux plus apparents, une botte de paille, et de l'y laisser encore pendant deux mois après que la maladie aura cessé. »
Le 14 avril 1519, la peste pénètræ encore à Paris. Le prévôt demandæ alors si l'on peut sans danger permettre la représentation du mystère de Notre-Seigneur dans le cimetière de Saint-Jean. La Faculté répond que les grandes agglomérations étant dangereuses, on doit empêcher cette représentation.
L'épidémie de 1531 est marquée par la création des Prévôts de la santé, lesquels, aidés d'un certain nombre d'archers, doivent s'enquérir des maisons infectées, séparer promptement les malades d'avec les personnes saines et veiller à l'exécution des règlements sanitaires. Ils doivent se tenir habituellement, afin de pouvoir toujours les trouver, au cimetière de Saint-Gervais ou à celui de Saint-Séverin. Ils se rendent matin et soir chez les commissaires, et plusieurs fois dans la journée, chez les quarteniers, dizainiers, médecins, barbiers, chirurgiens apothicaires de chaque quartier afin d'apprendre d'eux les noms et demeures des citoyens frappés. Ils confient aussitôt ces derniers aux barbiers ou aux chirurgiens nommés par la police, ou les font porter à l'Hôtel-Dieu.
Les prévôts de la santé ont encore le soin de marquer d'une croix blanche les maisons abritant des pestiférés, et de veiller à ce que les domestiques de ces mêmes maisons ne sortent qu'avec uneverge blanche à la main. Les peines portées contre ceux qui osent effacer ces croix blanches marquées par les prévôts de la santé sont extrêmement sévères, les délinquants étant condamnés à avoir le poing coupé. Enfin, ces officiers sanitaires, leurs aides et archers, ne marchent dans les rues que portant une casaque d'étoffe noire avec une croix blanche. Ces différentes épidémies du XVIe siècle vont enlever, en moyenne, de 30 à
40 000 habitants chacune. Celle de 1606 va déterminer l'Administration à faire construire un hôpital de pestiférés, l'hôpital Saint-Louis.
Derniers grands foyers européens à Londres (1665) et Marseille (1720)
Au XVIIe siècle, un nouveau foyer de peste est retrouvé à Lyon en 1631 où des mesures sanitaires strictes sont prises : nettoyage des logements des pestiférés et mise en quarantaine de leur famille, interdiction de vente des vêtements… En 1665, narrée par Daniel Defoe, l’auteur de « Robinson Crusoé », dans son « Journal de l’année de la peste », la maladie va faire 100 000 morts.
[[asset:image:1706 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Inhumation des cadavres \u00e0 la Tourette par le chevalier Roze."]}]]La dernière grande épidémie de peste en France est celle qui a sévi en Marseille en 1720, faisant 40 000 morts dans la ville phocéenne et 100 000 dans toute la Provence. Au XIXe siècle, les armées napoléoniennes auront aussi à combattre la peste durant la campagne d’Orient, l’épisode des « Pestiférés de Jaffa » étant passé à la postérité grâce au tableau d’Antoine-Jean Gros exposé au Louvre.
Yersin isole le bacille de la peste
La dernière grande pandémie qui va débuter en 1894 en Inde, à Bombay va permettre à Waldemar Haffkine d’élaborer un vaccine à partir de germes tués. Un an auparavant, Alexandre Yersin a, au cours d’une autre épidémie, à Hong Kong cette fois, isolé le bacille responsable de la de la peste (Yersinia pestis).
En 1908, une mise au point d'un sérum antipesteux est faite. En 1921, un vaccin aqueux est mis au point à l'institut Pasteur. En 1932, Girard et Robic mettent au point un vaccin préparé avec des bacilles pesteux de virulence atténuée. Usé dès 1933 ce vaccin antipesteux EV (pour Evesque, nom de la victime sur laquelle a été isolée la souche du vaccin) restera le seul traitement efficace contre la peste pulmonaire jusqu'au traitement de la maladie par les sulfamides puis par les antibiotiques. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la peste sera utilisée comme arme bactériologique par l’armée impériale japonaise lors de l’invasion de la Chine. Le dernier cas de peste enregistré en France remonte à 1946.
[[asset:image:1726 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
De nos jours...
Aujourd’hui, d'après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Afrique est le continent le plus touché avec 90 % des cas de pestes répertoriés (hauts plateaux du centre de l'île de Madagascar et République démocratique du Congo, ces deux pays recensant 90 % des cas sur le continent, Mozambique, Tanzanie), suivie de l’Asie (Inde). Ces deux continents regroupaient près de 99 % des cas rapportés dans le monde en 1997. 13 cas de peste ont été détectés en Libye à la mi-juin 2009, mais l'épidémie a été enrayée sur le champ.
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