C’est une avancée prometteuse dans le domaine de la recherche et de la prise en charge des patients atteints d’épisode dépressif caractérisé (EDC). La société de technologie médicale MyndBlue a annoncé fin avril la publication, dans le journal « Scientific Reports », des résultats intermédiaires de son étude clinique sur l’EDC « démontrant l’existence d’une biosignature prédictive de l’évolution de la maladie avec une moyenne de 62 caractéristiques physiologiques propres à chaque patient ».
Une découverte rendue possible par le concours d’une intelligence artificielle développée spécifiquement. Dans un premier temps, cette IA a identifié, en continu, les données physiologiques d’une cohorte de patients atteints d’un épisode dépressif caractérisé, suivis en ambulatoire. Puis elle en a extrait celles impactées par la maladie, établissant ainsi la biosignature spécifique de chacun d’entre eux.
Une seconde étape – basée sur le deep learning – a analysé parallèlement les biomarqueurs de chaque patient pour en évaluer l’état clinique et prédire son évolution. « C'est la première fois que l’on parvient à établir une biosignature avec des caractéristiques individuelles en ayant recours à l’intelligence artificielle, s’enthousiasme le Pr Pierre Geoffroy, psychiatre à l’hôpital Bichat (AP-HP) et au centre ChronoS au GHU Paris Psychiatrie Neurosciences. C’est un peu le Graal parce qu’on cherche depuis un certain nombre d’années à avoir des marqueurs plus objectifs en psychiatrie, en particulier en dépression où il existe beaucoup de formes différentes. Un tel résultat est porteur d’énormément d’espoir car il nous permettrait par la suite d’ajuster et d’adapter notre pratique clinique et thérapeutique aux patients de façon personnalisée. »
150 mesures physiologiques
Concrètement, la cohorte de patients volontaires ayant participé à l’essai clinique prospectif et multicentrique de MyndBlue a porté en permanence, pendant six mois, un dispositif médical portable de surveillance, bardé de capteurs. À l’arrivée, 150 mesures physiologiques relatives à l’activité physique, à la fréquence cardiaque et à sa variabilité, à la fréquence respiratoire et au sommeil ont été recueillies.
Pour chaque patient, l’algorithme a été entraîné sur les caractéristiques physiologiques quotidiennes relevées au cours des trois premiers mois ainsi que sur les évaluations standardisées correspondantes. Ensuite, la capacité de l’algorithme à prédire l’état clinique du patient a été testée sur les trois mois restants. L’IA développée par MyndBlue est constituée de trois composants distincts. « Un modèle interne de la maladie, déterminant la courbe d’évolution attendue de l’état clinique de chaque patient, un filtre de sélection identifiant une moyenne de 62 mesures physiologiques propres à chaque patient impacté par les symptômes de sa maladie, et un algorithme de deep learning chargé de déterminer la partie inattendue de l’état clinique du patient avec les mesures physiologiques identifiées », explique Nicolas Ricka, docteur en mathématiques et Head of AI research de MyndBlue.
Le début des phénotypages numériques ?
Au bout du compte, au regard des résultats intermédiaires de l’étude clinique, l’algorithme a été capable, pour chaque individu, non seulement de caractériser les mesures physiologiques touchées par les symptômes spécifiques de ce patient, mais aussi, grâce à ces dernières, d’évaluer, sur une période de trois mois, la gravité de la maladie avec une sensibilité de 79 % et une spécificité de 94 %. « Ces marqueurs objectifs, demain, nous aideront dans notre pratique clinique à mieux caractériser nos patients souffrant d’EDC et, on l’espère, à mieux prédire les réponses thérapeutiques. C’est ce que j’appelle la psychiatrie et la médecine générale augmentée », analyse le Pr Geoffroy.
De fait, l’outil ne concerne pas uniquement les psychiatres mais également le médecin traitant qui suit un patient souffrant d’épisode dépressif caractérisé. « Imaginez une médecine personnalisée qui offre aux praticiens la possibilité de prescrire un traitement adapté à chaque cas parce que basé sur des biomarqueurs propres au patient qu’il a en face de lui, anticipe le Pr Geoffroy. Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore, mais dans quelques années… Il existe une multitude de travaux internationaux qui s’intéressent à la recherche de biomarqueurs, avec de nombreuses découvertes indépendantes. Mais hélas, à ce jour, aucun biomarqueur n’a pu être transféré à la clinique, que cela soit pour mieux caractériser les patients, identifier des sous-groupes plus homogènes de la maladie, ou pour prédire les réponses des patients, ou encore l’évolution des troubles. Cette étude ouvre la voie aux phénotypages numériques, à l’aide d’approches multimodales physiologiques, qui m’apparaissent nécessaires dans la clinique des troubles de l’humeur ». Selon le baromètre de Santé Publique France, en 2021, la prévalence de la dépression était de 13,3 % chez les 18/75 ans et de 20,8 % chez les 18/24 ans.
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