Introduite en 1994, l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) a fait de la France un champion mondial de l’accès précoce aux médicaments présumés innovants, avant même leur commercialisation.
Mais 25 ans plus tard — et un mille-feuille législatif et réglementaire décourageant — ce système était à bout de souffle « entraînant une perte de lisibilité pour les industriels », explique le ministère de la Santé, et sans doute des pertes de chance pour certains patients. Au point que seule une vingtaine de molécules bénéficient chaque année d’ATU (pour des cohortes de plusieurs milliers de malades).
De fait, différentes strates dérogatoires se sont accumulées au fil du temps. ATU de cohorte, nominatives, en extension d’indication, régime post-ATU… Une demi-douzaine de systèmes cohabitaient, dont les recommandations temporaires d’utilisation (RTU), issues de la loi Bertrand en 2011. Ce dernier mécanisme encadre l’utilisation d’une molécule « hors AMM » mais reste peu utilisé dans les faits. En dix ans, une trentaine de médicaments ont bénéficié d’une RTU.
25 000 à 30 000 patients concernés
Pour clarifier et accélérer l’accès précoce à ces médicaments innovants ou pour des patients en impasse thérapeutique, le système a été refondu depuis le 1er juillet, une vaste réforme programmée par la loi Sécu 2021. La France retient désormais deux régimes : l’accès précoce d'une part et l’accès compassionnel d'autre part, une (r)évolution saluée par les industriels comme l'aboutissement d'un chantier de simplification.
« L'accès précoce s’adresse à des maladies graves, rares ou invalidantes, en l’absence de traitement approprié ou si la mise en œuvre du traitement ne peut pas être différée. Nous considérons le caractère présumé innovant du médicament », précise la Haute Autorité de santé (HAS).
Environ 25 000 à 30 000 patients sont concernés mais aucune limite n'est fixée en nombre de malades. « Ces autorisations d’accès précoce vont concerner des médicaments qui n’ont pas encore obtenu d’AMM, mais qui ont un développement clinique en cours », ajoute l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Cette voie regroupe ainsi les anciennes ATU de cohorte, d’extension d’indication, la prise en charge post-ATU ou l’accès direct post-AMM. L’accès précoce cible de fait des besoins médicaux auxquels peuvent répondre des médicaments pour lesquels le laboratoire a des visées commerciales dans l'indication concernée.
En pratique, pour des cancers, maladies neurodégénératives rares, ou toute autre pathologie invalidante, le laboratoire pourra faire une demande directe d'autorisation d'accès précoce. Une fois cette autorisation accordée par la HAS, pour une durée d'un an renouvelable, les prescripteurs seront en mesure de faire une demande d'accès à ce médicament pour leurs patients, via leur pharmacie hospitalière.
Accès compassionnel, à l'initiative d'un prescripteur
Deuxième grande voie, l’accès dit compassionnel cible des besoins médicaux identifiés (filière maladie rare, spécialités, INCa, autorités) auxquels répondent des traitements pour lesquels le laboratoire n’a pas de stratégie commerciale dans l'indication concernée, ni de démarche en vue d'une AMM en France. Le médicament (non nécessairement innovant) peut ainsi être demandé (pour un produit non autorisé en France) par un prescripteur hospitalier pour un patient nommément désigné. Ce mécanisme est adapté aux molécules ayant obtenu une autorisation aux États-Unis par exemple. Il peut s'agir aussi pour les autorités de sécuriser une pratique de prescription hors-AMM d’un produit disponible en France, mais disposant d’une AMM dans d’autres indications.
Si le prescripteur juge ce traitement utile pour son patient — et sous réserve que l’ANSM puisse présumer d’un rapport bénéfice/risque favorable pour une maladie grave, rare ou invalidante — il pourra faire sa demande d’accès compassionnel à sa pharmacie hospitalière ou de ville, notamment via une appli web « en cours de modernisation, pour faciliter le travail du médecin et rendre l’accès à ces molécules plus simples », assure l’ANSM. Le médicament pourra être délivré en urgence.
L’accès compassionnel regroupe les RTU et les ATU nominatives. Parmi les RTU les plus connues : l’Avastin utilisé dans la DMLA ou le méthotrexate dans le traitement des grossesses extra-utérines. Le baclofène avait bénéficié d’une RTU avant sa mise sur le marché pour le traitement de l’alcoolodépendance.
Prise en charge immédiate
Dans ce mouvement d’accélération de l’accès à ces molécules, la réforme prévoit également la mise en place d’un « guichet unique » (portail SESAME) pour l'accès précoce, plateforme dématérialisée sur laquelle les industriels pourront déposer leurs demandes. Une dizaine de molécules sont déjà candidates au « prédépôt ». Et plus question de subir des délais interminables. « Notre réponse est désormais cadrée dans le temps. La HAS et l’ANSM auront trois mois pour répondre aux demandes des laboratoires et rendre leur décision d'autorisation », affirme la HAS.
Les laboratoires de leur côté auront ensuite deux mois pour mettre à disposition des patients le médicament ainsi autorisé, qui bénéficiera d'une prise en charge immédiate et automatique. « Grâce à cette réforme, les patients français en impasse thérapeutique seront parmi les premiers au monde à accéder à des médicaments innovants », avance Olivier Véran.
Donnant/donnant
La réforme a été aussitôt saluée par les industriels. « L’accès précoce aux molécules innovantes est un joyau français, unique au monde, insiste Hervé de Trogoff, directeur des affaires publiques et des affaires économiques chez Merck. Mais il avait perdu son attractivité car il était devenu illisible, imprévisible et complexe. Tout le monde sentait que le système était à bout de souffle ». La nouvelle démarche est d’autant plus incitative pour le secteur de la pharmacie que les conditions financières – fixation du prix librement par le labo et mécanismes de reversement des remises – sont désormais connues à l’avance, gage de lisibilité. « La grille de prix est prévisible, fixée annuellement par tranche du chiffre d’affaires sur toute la durée de l’accès précoce », précise Hervé de Trogoff.
En retour, les industriels s'engagent à faire remonter, pendant toute la durée de l'accès précoce, les effets indésirables, l'efficacité ou encore les caractéristiques des patients concernés. Un recueil « obligatoire » des données en vie réelle qui doit permettre de renforcer les connaissances sur le médicament et d'analyser la qualité de vie des patients.
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