LE QUOTIDIEN : Le mouvement antivax actuel s’inscrit-il dans la continuité de la résistance aux vaccins que vous détaillez dans votre ouvrage ?
LAURENT-HENRI VIGNAUD : L’acceptation d’un nouveau vaccin n’est jamais facile. Il y a toujours des doutes, une suspicion face à la nouveauté. Et, dans un contexte d’incertitude, les débats entre scientifiques imprègnent la population.
Lors de la pandémie de Covid, les premières enquêtes sur l’hésitation ou le refus vaccinal sont intervenues en France, alors qu’on ne disposait pas d’informations sur les vaccins, leur composition et leur efficacité. Et nous ne sommes pas complètement sortis de cette phase d’incertitude, le vaccin de Janssen en est une illustration.
Par ailleurs, face à une situation d’urgence épidémique, l’État a adopté des mesures politiques et législatives de contraintes − obligation vaccinale et pass sanitaire − qui mobilisent ceux qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement et ceux qui se disent sensibles à la question des libertés individuelles.
Le mouvement antivax actuel est ainsi marqué à la fois par des phénomènes de doute et de mobilisation sur la question de la liberté, si bien qu’il est aujourd’hui impossible de dire si les idées antivax ont progressé. Pour l’instant, les données montrent que moins de 3 % de la population rejette la vaccination et autour de 25 à 30 % ne sont pas confiants. Il faut attendre que la crise soit passée pour pouvoir mesurer l'évolution.
Votre travail met en évidence la persistance des arguments contre la vaccination au fil des siècles. Qu’en est-il actuellement ?
Nous avons mis trois ans à établir notre typologie. Et ce qui est frappant en effet, c’est la récurrence de certains arguments. Les vaccins sont un produit préventif. Et l’un des principaux obstacles à la vaccination est lié à l’injection d’un médicament à un sujet qui n’est pas malade, alors que toute la médecine moderne s’est construite sur le curatif.
Par ailleurs, les discours actuels, encore très stéréotypés, avancent que le vaccin ne marche pas, qu’il pollue ou qu’il fonctionne moins bien que l’immunité naturelle. Les arguments religieux sont en revanche très peu présents dans les sociétés contemporaines occidentales mais existent encore. On peut citer l’exemple de la résurgence de l’épidémie de rougeole dans la communauté juive de New York.
Si on manque encore de recul pour identifier du nouveau dans la situation actuelle, on peut déjà noter des craintes d'un vaccin qui aurait été fabriqué trop vite. Cet argument, qui a en partie été utilisé en 2009, est désormais repris par des gens qui ne se sont jamais posé la question de la dangerosité des vaccins. Certains disent attendre le vaccin français et d’autres en veulent un « traditionnel » et non à ARNm. On est peut-être là face à un phénomène naissant. Mais, à mon avis, ces opposants n’ont pas résisté très longtemps à l’appel du vaccin avec l’instauration du pass sanitaire.
Ces arguments sont-ils utilisés différemment selon les profils d’opposants ou d’hésitants ?
Sûrement, et cela mériterait d'être étudié. Dans les discours des leaders antivax proches des religieux intégristes, ce qui revient souvent est la référence à la nature, l’argument étant alors d’opposer le vaccin artificiel à l’immunité naturelle.
Les profils plus proches de l’extrême gauche insistent plutôt sur les brevets et les profits de l’industrie pharmaceutique. Ce discours sur la vénalité des industriels se retrouve aussi à l’extrême droite, mais avec un accent mis sur le rôle d’une société secrète qui dominerait le monde.
Historiquement, chaque communauté privilégie un type d’arguments, qui vont correspondre aux attentes de la communauté. En même temps, quand le débat émerge au niveau national, la tentation est forte de se rallier aux arguments les plus consensuels pour toucher le public le plus large. Actuellement, jouer la carte de la liberté individuelle, c’est s’assurer de toucher le public le plus large.
Certains médecins sont opposés à la vaccination. Les raisons sont-elles différentes ?
L’opposition vaccinale est primitivement médicale. Les premiers réfractaires au début du XIXe siècle étaient des médecins qui ne croyaient pas à l’efficacité du vaccin contre la variole, pensant qu’il transmettait une maladie animale à l’homme. Un mouvement né en France dans les années 1950, la Ligue pour la liberté vaccinale, était composé de médecins.
Le mouvement d’opposition a ainsi toujours été porté par des scientifiques. Certains mettent par exemple en avant la toxicité des adjuvants. Cela relève d’un discours alter scientifique, terme que j’emprunte à un livre d’Alexandre Moatti. Comme dans le climatoscepticisme, ceux qui se mettent à l’écart du consensus scientifique ne sont souvent pas des spécialistes du domaine. C’est le cas par exemple d’Andrew Wakefield, qui a établi un lien entre le vaccin contre la rougeole et l'autisme en 1998 en étudiant seulement 12 enfants.
Ces mouvements ont un impact important parce qu'ils intègrent complètement le discours scientiste et le raisonnement critique. On retrouve ces positions techno-
critiques dans les débats sur le nucléaire ou les OGM.
Dans ce contexte, comment emporter la conviction ? L’obligation vaccinale est-elle une bonne approche ?
Historiquement, c’est contrasté. L’obligation peut alimenter l’opposition. En même temps, la loi de 2018 sur l’obligation vaccinale chez les enfants est un contre-exemple, mais cette loi relevait plutôt d’un travail d’harmonisation entre recommandation et obligation.
Le mouvement antivax est l’arbre qui cache la forêt : il est très bruyant, très présent, mais représente une minorité. Il masque toute une masse de gens qui ne demandent qu’à être convaincus par un camp ou par l’autre. C’était visible en janvier lorsque le gouvernement était frileux par crainte des antivax, alors que, dans le même temps, les autorités étaient alors à deux doigts de faire face à des manifestations réclamant le vaccin. C’est déjà arrivé dans les années 1920, où des émeutiers exigeaient un vaccin.
L’histoire nous apprend que dans les périodes où les maladies ont disparu ou ne sont plus visibles, il a parfois été nécessaire de rappeler ce qu’elles étaient et leurs conséquences. Dans le cas du Covid, l’obstacle n’est pas le même et relève plutôt de l’incertitude face à la nouveauté. Face cette hésitation, il n’y a pas de solution miracle : il faut informer sur l’efficacité, être transparent sur la pharmaco-vigilance.
Cette démarche peut être à double tranchant et alimenter un discours de suspicion. On le voit avec le surrisque de thrombose avec le vaccin d’AstraZeneca, les jeux statistiques sont toujours délicats à manier : il est complexe de se représenter une réalité statistique à une échelle individuelle.
On sait par ailleurs que chaque acteur doit jouer son rôle. Et vu le taux de confiance proche de zéro qu’ont auprès des Français la classe politique, les journalistes et les experts, ce n’est pas là que ça se joue. La clé est dans les cabinets médicaux. La réussite de la loi de 2018 est sans doute le fait des médecins. Il est ainsi possible de faire des cartographies de la réticence aux vaccins : autour d’un médecin naturopathe, la population va avoir des taux de vaccination en berne.
Les États-Unis ont connu à partir des années 1950 une hausse des procès sur les effets secondaires. Quel a été l'impact de cette judiciarisation ?
La transparence est à double tranchant, mais on ne peut pas faire autrement. Dans les sociétés démocratiques, l’information sur les risques est la clé et il est normal que les citoyens puissent engager des poursuites judiciaires lorsqu’il y a mise en danger.
En 1986, une loi adoptée sous l’ère Reagan a clarifié la pharmacovigilance et permis l’indemnisation des victimes avec un double système : soit l’effet secondaire est reconnu et l’indemnisation est automatique, soit ce n’est pas le cas et on va jusqu’au procès avec la preuve à la charge du plaignant. Ces procédures sont extrêmement saines et vertueuses.
Chez les antivax pourtant, ces fonds d’indemnisation sont pris comme argument. Il est alors souligné que l’industrie pharmaceutique verse des milliards chaque année pour réparer les erreurs des vaccins et éponger leur toxicité. C’est un retournement d’un véritable progrès. La judiciarisation a permis d’améliorer les règles de pharmacovigilance : la production de vaccins fait partie désormais des processus industriels les plus sûrs et surveillés qui existent.
Vaccination, soutien aux soignants, IVG : le pape François et la santé, un engagement parfois polémique
« Je fais mon travail de médecin » : en grève de la faim, le Dr Pascal André veut alerter sur la situation à Gaza
Après deux burn-out, une chirurgienne décide de retourner la situation
La méthode de la Mutualité pour stopper 2,4 milliards d’euros de fraude sociale