Début 2019, l’OMS a placé l’hésitation vaccinale dans le top 10 des plus grandes menaces pour la santé mondiale, aux côtés de la pollution et de l’antibiorésistance.
Deux ans – et une pandémie – plus tard, « la France s’est distinguée par des niveaux importants d’hésitation vaccinale par rapport aux autres pays », a rappelé Jeremy Ward, sociologue à l’INSERM, lors d’une table ronde consacrée au phénomène, dans le cadre du congrès du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), à Bordeaux.
Mouvance complexe
Au-delà de quelques personnalités médiatiques aux discours complotistes, les « antivax » sont une réalité plus complexe que de simples groupes qui refusent en bloc la vaccination. « Ceux qui rejettent tous les vaccins représentent une part infime de la population, entre 2 et 4 %. On parle désormais d’hésitation vaccinale, qui va regrouper l’ensemble des réticences », précise le sociologue. Avec des comportements variables : refuser certains vaccins mais pas d’autres, vacciner son enfant plus tard, douter de la sécurité ou de l’efficacité… « On a encore trop tendance à parler facilement d’antivax. Le concept d’hésitation vaccinale permet de déplacer le regard », ajoute-t-il.
Qui sont ces réticents à la vaccination ? Plutôt des femmes, investies dans les questions de santé, avec un niveau de vie stable… « Les populations plus marginalisées, avec des revenus faibles ou un niveau d’éducation plus bas ont tendance à moins s’investir dans les questions vaccinales », souligne Jeremy Ward, précisant qu’en réalité beaucoup de patients ne se posent pas vraiment la question. « Ce sont eux que le médecin généraliste doit aller chercher ! »
Obligation, adjuvants, H1N1, HPV…
Comment expliquer la « massification » des hésitations vaccinales ? Longtemps, ces doutes et réticences ont été expliqués trop rapidement par la crise de représentativité et de confiance dans les autorités, experts scientifiques inclus. « C’est une théorie qui marche plutôt aux États-Unis, mais pas très bien en France », analyse le sociologue.
Selon lui, la diffusion large des hésitations vaccinales est née à partir de 2009, « ce qui coïncide avec l’entrée dans le débat public de certaines vaccinations, comme la vaccination H1N1 puis HPV, et plus tard les débats sur l'obligation vaccinale ». En ciblant certains vaccins, certains adjuvants, et pas d’autres, les arguments « sont devenus plus entendables, plus médiatisables politiquement ». Ce ne serait donc pas tant la crise de confiance envers les institutions que la médiatisation accrue des vaccins, qui alimenterait la méfiance.
Cette volatilité du débat public s’est parfaitement illustrée pendant la crise Covid. « Si AstraZeneca est le vaccin qui a le plus suscité de réticences, c’est parce que c’est celui dont les effets indésirables ont été le plus médiatisés », analyse Jeremy Ward. L'adhésion aux vaccins a ainsi beaucoup varié : 75 % d’intention de vaccination au début de la pandémie, 40 % en décembre, et à nouveau 70 % aujourd’hui... « Mesurer cela, c’est mesurer des opinions à un moment donné ».
« Il va falloir rentrer en jeu ! »
Si l’hésitation vaccinale renvoie à l'image que les patients ont du vaccin à un instant T, « il ne faut pas pour autant oublier tous ceux qui ne sont pas particulièrement motivés, ni d’un côté ni de l’autre », souligne le sociologue. Des patients entre deux eaux, dans une zone grise, nombreux, qu'il faut convaincre. Le Dr Ludovic Casanova, médecin généraliste dans le Vaucluse, l’a bien compris. Il a élaboré une grille pour guider la discussion avec les plus hésitants au cabinet, présentée lors du congrès du CNGE.
« En France, on connaît actuellement une lune de miel sur la vaccination Covid, mais le plateau va bientôt s’inverser, il va falloir rentrer en jeu ! », avance le généraliste. En consultation, le plus efficace est souvent de recommander simplement le vaccin, explique-t-il, « sans aller trop loin » car « donner son avis de médecin traitant parfois, c’est suffisant ». Une étude a été réalisée en 2021 sur 500 militaires – dont 100 avaient refusé la vaccination. « Et l’intervention la plus efficace pour les convaincre a été celle du généraliste… », se réjouit le Dr Ludovic Casanova.
Mais comment aborder le sujet ? Plutôt par une simple question ouverte : « Quelle décision avez-vous prise concernant la vaccination ? ». « Il faut surtout éviter la question fermée interro-négative, comme "vous n’êtes pas encore vaccinés ?" », qui culpabilise, précise-t-il. Il convient aussi de choisir le bon moment, en évitant tout paternalisme. « Montrez que vous avez le temps pour discuter. Cette accessibilité du médecin traitant est déterminante pour diminuer l’hésitation vaccinale ».
Réponses personnalisées
Et si le patient émet des doutes, « acceptez son avis, sans être jugeant », conseille le Dr Casanova, qui invite à reformuler. « Pourquoi pensez-vous cela ? Quand vous dites que l'on vous cache quelque chose, que voulez-vous dire ? ». « En réalité, les patients veulent une information simplifiée et des réponses personnalisées à leur interrogation », poursuit le généraliste. Selon lui, il est peu efficace de citer des informations standardisées, une littérature scientifique « jargonisante », les avis des institutions ou même des affichettes dans le cabinet « qui ne marchent pas vraiment ». Présentez les avantages de la vaccination, sans éluder les effets indésirables, et « sans jouer sur la peur, ce qui contre-productif ».
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