Le premier CHU de France en mal d'attractivité ?

L'AP-HP va contre-attaquer pour empêcher la fuite de ses chirurgiens

Publié le 24/03/2016
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Plusieurs « signes perceptibles » d'une perte d'attractivité de la chirurgie dans les hôpitaux parisiens ont conduit l'AP-HP à préparer la contre-attaque.

Fin 2015, le directeur général du premier CHU de France, Martin Hirsch, a commandé un audit et des actions rapides au Pr Laurent Hannoun, chirurgien à La Pitié-Salpêtrière. Son rapport interne dont « le Quotidien » a eu copie identifie les freins à l'activité et préconise un train de mesures dont l'AP-HP devrait s'inspirer.

Dans un environnement ultra-concurrentiel, l'inquiétude des gestionnaires de l'AP-HP est entretenue par trois facteurs : le malaise exprimé par de « nombreux chirurgiens » ; l'augmentation des démissions* de chirurgiens (15 en 2013, 19 en 2014 et 23 en 2015) ; enfin un repli de l'activité chirurgicale en 2015 en orthopédie, urologie, chirurgie thoracique, gynécologie et possiblement chirurgie cardiaque.

« La situation est réversible », nuance le rapport. Il n'empêche que pour la première fois, des chirurgiens chevronnés et « très impliqués » ont quitté le vaisseau amiral pour s'installer « à quelques centaines de mètres de leur service d'origine ». 

Temps perdu

Même si la situation est variable suivant les services et les équipes, les freins à l'activité chirurgicale sont multiples. Le rapport distingue les handicaps structurels (architecturaux – locaux, entretien de l'hôtellerie, vétusté de certains blocs, absence de salles dédiées aux urgences – ou liés à l'insuffisance de personnel non médical ou médical) et les difficultés organisationnelles (absence de lits, gestion des urgences, accueil téléphonique).

Le rapport met l'accent sur les tensions et luttes de pouvoir au bloc opératoire. Au bloc toujours, les déprogrammations de dernière minute nourrissent un « sentiment majeur de frustration pour les chirurgiens », peut-on lireLes horaires de travail non contrôlés et le temps perdu dans les inter-blocs contribuent à l'insatisfaction.

L'accueil érigé en priorité

Sur ces bases, un « plan chirurgie AP-HP » propose d'instaurer dans chaque domaine des normes de qualité et d'efficience que chaque groupe hospitalier devrait appliquer (sur certains sites, le chantier est déjà bien avancé). 

L'accueil est érigé en priorité. Le rapport encourage des actions de communication de l'AP-HP sur la visibilité de l'offre de soins, une appli smartphone, des efforts sur la réponse téléphonique et la prise de rendez-vous (y compris en ligne) ainsi qu'une meilleure organisation de la consultation en chirurgie. « Des objectifs de délais doivent être fixés par pathologie », lit-on. Quant aux secrétaires médicales, elles doivent devenir de « véritables assistantes des chirurgiens « comme dans l'activité libérale ou les hôpitaux anglo-saxons ».

L'hôtellerie doit être plus concurrentielle en chirurgie. Il convient de proscrire les locaux vétustes, de généraliser les salles d'attente pour les familles et les chambres seules… Un programme de restructurations des bâtiments existants sur cinq ans est jugé souhaitable. Le taux d'occupation des lits doit être supérieur à 90 % pour toutes les structures chirurgicales.

Le rapport insiste sur la remise à niveau technologique des blocs opératoires et sur l'accessibilité systématique aux images. La mission défend la création de salles hybrides permettant de réaliser tous les gestes non invasifs.

Elle recommande aussi de fixer des normes AP-HP concernant les équipes paramédicales en chirurgie (volume de malades pris en charge, formation, attractivité). Exemple en hospitalisation : 7 à 10 patients par infirmière de jour, 10 à 15 de nuit… Au bloc, l'idéal serait la présence de deux IBODE par salle (une instrumentiste, une circulante).

L'autorité du chef de service

La valorisation du temps de travail pour les praticiens de bloc est jugée incontournable au regard des difficultés de l'exercice opératoire (pénibilité, pression, absence de pauses). En articulation avec le rapport Le Menn sur l'exercice médical à l'hôpital, la mission préconise la prise en compte pour les praticiens de bloc des dépassements horaires et du caractère continu de l'activité. La comptabilisation en demi-journées permettrait de rémunérer ce temps additionnel (au niveau d'une plage de jour). Autres pistes : l'extension des primes multi-établissements (PME) pour les exercices partagés, le maintien de l'activité libérale, la revalorisation de l'indemnité de service public exclusif pour les praticiens sans secteur privé…    

Une charte de fonctionnement des pratiques en équipe est proposée dans le cadre d'un plan « bloc opératoire » pour formaliser dans chaque hôpital le travail collégial des chirurgiens et des anesthésistes, source de tensions. La gouvernance n'est pas oubliée. Selon le rapport, les chirurgiens semblent très attachés à préserver l'autorité du chef du service qui « ne doit pas glisser sur le chef de pôle en particulier s'il appartient à une autre discipline ».  

Un « welcome package » pourrait renforcer le compagnonnage dans les services hospitaliers et formaliser les engagements mutuels entre les jeunes chirurgiens et les chefs de service.

Parallèlement à ce plan d'action, le rapport devait proposer divers scénarios réalisables de restructuration (services, plateaux techniques), permettant de regrouper les équipes fragiles mais aussi de valoriser certaines surspécialités.

* Chiffres transmis par la Direction de l'organisation médicale et des relations avec les universités

Cyrille Dupuis

Source : Le Quotidien du médecin: 9482