Au printemps, plusieurs grèves ont eu lieu dans les établissements de Normandie, notamment aux centres hospitaliers du Rouvray et du Havre. Au Rouvray, le mouvement a duré plus de quatre mois, et une dizaine d’agents ont commencé une grève de la faim. Cette action a déclenché l’attribution de moyens supplémentaires en personnels infirmiers et aides-soignants par l’agence régionale de santé. Force est donc de constater que des agents de la fonction publique ont mis leur santé en danger afin d’obtenir des renforts humains pour soigner correctement les malades.
Sur notre territoire, le nombre de suicides a diminué, les parcours de soins des patients souffrant de troubles du spectre autistique, des personnes âgées ou incarcérées se sont améliorés, les techniques les plus innovantes sont disponibles au niveau régional. Mais, pour les soins du quotidien, alors que nous observons une augmentation de 40 % du nombre de patients vus aux urgences, et de 15 % du nombre de patients hospitalisés sur les trois dernières années, aucun ajustement, hormis la rationalisation de nos moyens, ne nous est proposé.
Le résultat, ce sont des hôpitaux avec des taux d’occupation supérieurs à 100 %, des hospitalisations de plus en plus courtes ne permettant pas d’assurer une qualité de soins optimale, des agents hospitaliers accablés de tâches administratives, des délais de prise en charge qui se rallongent, des mineurs hospitalisés en service de psychiatrie pour adultes. Tout cela a une conséquence extrêmement néfaste pour tous les personnels des établissements hospitaliers, qui, pris dans un conflit de valeurs insupportable, ont l’impression de devenir maltraitants.
Un embrasement social parfois mal vécu
Nous avons vécu un embrasement social que notre communauté médicale n’a pas forcément compris, et a vécu parfois comme une agression. Au Rouvray, ce fut une véritable fracture entre des corps sociaux qui semblaient près à l’affrontement. Comment l’expliquer ? Peut-être pourrions-nous faire l’hypothèse suivante : d’un côté la révolte, de l’autre la résignation. Quelle est la vie d’un médecin hospitalier dans un établissement spécialisé en psychiatrie en 2018 ? Subir des sollicitations de plus en plus nombreuses, et n’avoir pour seul moyen d’y répondre que l’optimisation permanente de sa façon de fonctionner. Mais, une fois la limite dépassée, on ne peut plus supporter le quotidien et être attentif à ceux avec qui on travaille. Le cynisme et le désabusement guettent alors. Personnellement, il m’a été douloureux de constater que je n’avais pas compris à quel point les personnels ne supportaient plus le conflit de valeurs dans lequel ils se trouvaient pris au quotidien.
Une communauté de travail et d’émotions
La grève est finie. L’hôpital a obtenu des moyens supplémentaires, mais l’avenir est à construire ensemble. Car un hôpital est une communauté de travail particulière. C’est notre deuxième maison, un lieu particulièrement chargé d’émotions pour chacun d’entre nous. Nous avons, pour la plupart, fait nos études à l’hôpital, nous y avons grandi, parfois rencontré nos conjoints ; c’est le lieu dans lequel nous aurons passé la plus grande partie de nos vies. Alors, enlever aux soignants des hôpitaux l’idée que l’hôpital ne leur appartient pas est illusoire, et d’autres mouvements équivalents de celui que nous avons vécu réapparaîtront.
Pour l’éviter, il faudra sûrement que les soignants des hôpitaux publics soient entendus, mais plus encore qu’ils soient associés aux décisions.
Il a été douloureux pour moi de constater que je n’avais pas compris à quel point les personnels ne supportaient plus les conflits de valeur dans lesquels ils se trouvaient
CH du Rouvray et CHU de Rouen, université de Rouen
Dérives sectaires : une hausse préoccupante dans le secteur de la santé
Protection de l’enfance : Catherine Vautrin affiche ses ambitions pour une « nouvelle impulsion »
Dr Joëlle Belaïsch-Allart : « S’il faut respecter le non-désir d’enfant, le renoncement à la parentalité doit interpeller »
Visite médicale d’aptitude à la conduite : le permis à vie de nouveau sur la sellette