Les presque 300 pages que compte le dernier ouvrage de Jean de Kervasdoué ne sont pas de trop pour décortiquer les maux qui rongent le modèle social et sanitaire français. « Le Quotidien » a retenu quelques bonnes feuilles des analyses au scalpel de l'économiste.
Les bons médecins... et les moins bons
« Si en France il est acceptable, voire banal, de reconnaître qu'il y a de bons et de mauvais cuisiniers, de bons et de mauvais violonistes, comédiens, maçons, universitaires, députés, écrivains, essayistes..., en revanche, on ne reconnaît jamais publiquement qu'il y a aussi des médecins et des services hospitaliers de qualité... variable. Le conseil national de l'Ordre des médecins, veillant à l'absence de toute publicité, poursuit ceux qui d'aventure publieraient donc cette information aux non-initiés. Pourtant, là aussi, le talent, le sérieux, l'habileté, l'organisation varient d'une personne à l'autre, d'une institution à l'autre.
Bien entendu, l'élite de la profession, qui a trop souvent tenté de corriger les erreurs de diagnostic comme thérapeutique de quelques confrères, en est consciente. Elle serait disposée, sous certaines conditions, à évaluer les soins prodigués et, le cas échéant, à prendre les mesures qui s'imposent. Mais, quand un gouvernement nie qu'il peut y avoir une élite médicale tout en s'évertuant à la brider, voire à l'humilier, il y a peu de chances que cette élite soit coopérative et que la situation s'améliore. »
La judiciarisation de la médecine, effet nul sur la qualité
« L'exemple des États-Unis a montré que la judiciarisation de la qualité des soins médicaux était aussi coûteuse (la prime d'assurance annuelle d'un obstétricien à New York dépasse 200 000 dollars) qu'inefficace. Une étude de l'université de Harvard (...) a notamment démontré en 1991 que, en cas de recours devant les tribunaux pour faute médicale supposée, le médecin qui avait commis une faute professionnelle était effectivement condamné dans seulement un procès sur quinze ! Donc quatorze fois sur quinze, soit le médecin était condamné à tort, car il n'avait commis aucune faute, soit il en avait commis une, mais passait au travers alors que cette faute était cliniquement évidente ! La nature du tribunal et la qualité de l'avocat jouent donc, en matière d'acquittement ou de condamnation, un rôle important qui n'a rien à voir avec les soins médicaux prodigués. »
Lutte contre les déserts, ne pas se tromper de levier
« On aurait collectivement dû apprendre que l'on ne résout jamais des problèmes de court terme, comme celui des déserts médicaux, par des mesures de long terme comme le numerus clausus. Un médecin qui passe en deuxième année de médecine mettra dix ans à être formé, exercera son métier pendant au moins un demi-siècle et n'ira pas nécessairement exercer dans les déserts médicaux ! »
La prévention à toutes les sauces
« Ce terme est si vaste, couvre tant de domaines que l'on ne sait littéralement pas de quoi l'on parle quand il est évoqué. Lorsque j'entends ce mot, j'essaie de savoir si, une fois encore, on psalmodie un mantra offrant un énième sacrifice à l'autel de la bien-pensance, ou s'il y a un thème précis et des mesures opérationnelles. Souvent frustrée, ma vigilance a laissé place à l'inquiétude, tant ce terme truffé de connotations positives peut conduire à de dangereuses déviances, depuis que l'on peut y adjoindre la « précaution » et son « principe ». Pourtant, c'est bien à la prévention que l'on doit la part la plus importante de l'amélioration passée et présente de la santé de l'humanité. »
Raboter à l'aveugle les dépenses de santé, danger !
« Même si les dépenses de santé croissent toujours plus vite que la richesse nationale de 1,5 %, elles ne croissent pas assez vite pour faire face au progrès technique et à la demande de la population. Comme toutes les solutions magiques ont échoué, reste la bonne vieille règle de trois. En effet, faute d'avoir des idées, on réduit les dépenses non pas par des réformes de structure, mais par l'application à tous d'un taux unique : on rabote à l'aveugle. On ne choisit pas, par manque de courage et par manque d'idées, faute de valeurs et de priorités qui pourraient tracer une route. Cela fragilise la légitimité des mécanismes de solidarité et donne prise aux discours honteux laissant entendre que ce seraient les soins aux immigrés qui pourraient les fragiliser : l'aide médicale dédiée aux migrants ne représente que trois millièmes des dépenses d'assurance-maladie ! »
La patience des professionnels de santé a des limites
« Le désarroi des professions de santé est profond et la colère n'est pas loin. Il est vrai que soignants et gestionnaires ont reçu des injonctions contradictoires, ont vécu des réformes inutiles et ont été l'objet de peu de considération. Ils connaissent les facteurs d'évolution de leurs pratiques et savent qu'il est vain de prétendre, contre toute évidence, que les institutions d'hier pourront répondre aux défis de demain. Ne voyant aucun dialogue possible avec l'équipe au pouvoir jusqu'au printemps 2017, ils ont patienté pendant cinq ans ; ils n'attendront pas cinq autres années. »
* Jean de Kervasdoué, « Qui paiera pour nous soigner ? », Fayard, en librairie ce 6 novembre.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes