Un an après les révoltes arabes

Les systèmes de santé du Maghreb en pleine mutation

Publié le 22/05/2012
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Crédit photo : AFP

L’IPEMED, qui se définit comme un think tank au financement privé, organise régulièrement des « petits-déjeuners de la Méditerranée » autour de grandes problématiques méditerranéennes. La dernière édition a placé la santé au cœur du débat. Le Pr Farid Chaoui, de la faculté d’Alger, et Michel Legros, de l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), ont présenté le rapport* qu’ils consacrent aux systèmes de santé maghrébins.

Leur analyse est nuancée, à la fois sévère et teintée d’optimisme. « À leur indépendance, rappelle le Pr Chaoui, les trois pays [Algérie, Maroc, Tunisie, NDLR] ont hérité d’un système inadapté, ou, au pire, dévasté par la guerre ». L’espérance de vie est passée de 50 à 70 ans en cinq à six décennies, preuve que des efforts ont été faits, mais plusieurs indicateurs demeurent préoccupants. La tuberculose reste un défi, de même que la mortalité maternelle, très élevée en particulier au Maroc. La mortalité infantile est dix fois celle enregistrée au Nord de la Méditerranée. En pleine transition démographique, le Maghreb vieillit : les plus de 60 ans (6 % de la population aujourd’hui) seront deux fois plus nombreux en 2020. Les maladies non transmissibles explosent, et vont coûter très cher. Des hôpitaux consacrés au tourisme médical sortent de terre, mais les structures réservées aux habitants manquent cruellement : la Tunisie ne compte que deux établissements de lutte contre le cancer, à Sousse et Tunis. Les plus aisés s’envolent à l’étranger.

Des pilotes dans l’avion.

« Les moyens n’ont pas suivi », résume le Pr Chaoui, qui a été chargé de la réforme de la santé et de la Sécurité sociale auprès du Premier ministre algérien en 1990 et 1991. La Tunisie, pourtant la mieux lotie des trois pays auscultés, dépense six fois moins que l’Espagne pour la santé. Faute de protection sociale développée, le reste à charge ne cesse de s’alourdir (40 % en Tunisie, 60 % au Maroc). « Les pays ont laissé le privé s’installer, complète Michel Legros. Il faut remettre des pilotes dans l’avion ». Et fixer des priorités réalistes : « Nous ne pourrons jamais atteindre le niveau de soins des pays du Nord », estime ainsi le Pr Chaoui.

Les deux experts concluent leur rapport par une liste de préconisations : régulation du marché pharmaceutique, amélioration de la formation des professionnels de santé, développement de l’éducation thérapeutique, renforcement du pilotage gouvernemental des systèmes de santé... Ils proposent en outre de faire émerger des alliances Nord-Sud, afin de pallier les insuffisances de l’Union pour la Méditerranée, où la santé n’a pas trouvé sa place. Orange vient d’ouvrir une chaire de télémédecine à Tunis : des initiatives existent mais elles sont éclatées. « Nous suggérons que le Nord apporte un appui pour les pathologies lourdes comme le cancer, déclare le Pr Farid Chaoui. Il faudrait que ses équipes viennent en appui en attendant que le Sud fasse un saut qualitatif ».

* Le rapport intitulé « Défis nationaux et enjeux partagés, les systèmes de santé en Algérie, Maroc et Tunisie » est disponible dans son intégralité sur le site de l’IPEMED www.ipemed.coop

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9129