C’est avec intérêt et beaucoup d’attention que j’ai lu, dans votre édition anniversaire du 9 juin, votre éditorial, ainsi que les nombreux avis qui suivaient. Tous s’interrogent sur l’avenir de notre métier. Pour les uns, émerge un constat inquiétant, pour d’autres, on peut parler d’enthousiasme.
Quelles seront les conséquences sur l’enseignement, la pratique de ce métier, les relations entre confrères et le bouleversement de notre organisation hospitalière et de santé publique. Permettez-moi de vous dire que (à part quelques interventions que je ne nommerai pas), je vois beaucoup d’incantations assez loin de ce qui devrait occuper notre esprit : le devenir de la démarche médicale.
Le médecin-praticien d’hier et d’aujourd’hui aborde-t-il son propos comme n’importe quel professionnel ? Quelle sera l’influence de cette révolution technologique et biologique sur son mode de fonctionnement ? En d’autres termes, l’approche clinique du patient sera-t-elle balayée comme certains semblent le suggérer ?
Étrange ballet intérieur
Si je prends la plume, c’est évidemment que je ne partage pas ce point de vue. Pourquoi ? Qu’est-ce que la démarche médicale ? C’est intellectuellement, cette confrontation kantienne entre la raison et l’empirisme, l’induction et la déduction, c’est-à-dire pour nous médecins, cet étrange ballet intérieur que nous pratiquons continuellement : aller-retour entre état de l’art, notre propre expérience et le besoin réel du patient. Naturellement je ne m’aventurerai pas ici sur les champs de la morale et du QI requis.
- L’état de l’art ? Le médecin traitant est censé connaître son art sur le bout des doigts, y compris les dernières avancées et les informations qui y sont attachées. C’est en tout cas ce que pense le patient assis en face de son docteur ! Il est certain, comme le soulignent vos « e-passionnés », qu’un jour viendra – et c’est heureux – où nous disposerons instantanément, de l’information spécifique extraite d’un « big-data » située je ne sais où dans un « cloud ».
- L’expérience : là commence la difficulté d’imaginer un praticien désincarné (en tenue de ville) assis devant des écrans, et dont la formation universitaire aura consisté à se servir de machines pour accéder en un clin d’œil à une requête et in fine à une décision « à la carte » affichée sur son écran. Ce médecin du futur, a-t-il reçu – jour après jour – ce long apprentissage clinique fourni par des maîtres successifs – lesquels, chacun à sa manière, lui aura transmis un cadeau inestimable : l’expérience de toute une vie ? A-t-il perçu – ce supposé technicien-médecin – au terme de ces années d’apprentissage, que la médecine n’est pas une science, mais un art qui se sert avec humilité d’outils scientifiques ? Et qu’ainsi avançant dans sa propre pratique, en l’épaississant par de multiples « expériences » personnelles, il aura appris que la première chose à faire est d’écouter l’être humain qui vient lui demander de l’aide, et dont, d’ailleurs, le récit contient pratiquement 90 % de la solution.
- De fait, le point de rencontre de ces deux savoirs, c’est naturellement le besoin réel du patient. On peut sans aucun doute saisir les items d’une fiche exhaustive, en confronter les éléments aux données de la science. Mais (urgences vitales à part) la sensibilité de l’intéressé ? Son niveau culturel ? Son besoin, que bien souvent il exprime avec difficulté et qui implique de la part de l’observateur une empathie quasi obsessionnelle pour être sûr de ne pas l’embarquer dans une aventure à risque ? Mon bagage de chirurgien est rempli d’exemples où, alors que logique et technique conduisaient à La Solution Satisfaisante, un petit détail, remettait tout en question avant l’irréparable. Et que dire de cette sensation manuelle d’un obstacle perçu au bout d’un instrument que ma perception comparée à des situations antérieures me disait de contourner ? Je doute qu’un robot aussi « logicisé » soit-il, parvienne à un tel raffinement instantané.
Au total, je crois en la science, je crois en ses bienfaits en médecine, mais en dernier lieu je fais plus confiance à notre cerveau qui a mis des milliards d’années à être ce qu’il est et qui le restera – à moins qu’un astéroïde ne nous tombe sur la tête…
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