« Je crois pouvoir vous dire avec force que 2023 marquera un tournant et ce tournant, je l’attends depuis longtemps ». Devant un parterre d'invités triés sur le volet – mais hors de la présence de la presse – François Braun a présenté ce lundi ses vœux aux « forces vives de la santé », rêvant d'une année placée sous le signe « de la refondation » dans un discours d'une heure retransmis en vidéo.
Après avoir rappelé les engagements pris par Emmanuel Macron début janvier, le ministre de la Santé a décliné ces promesses en « dix objectifs clés pour inventer l’avenir du système de santé ». L’urgentiste a annoncé plusieurs éléments de calendrier, et de nouvelles missions. Adressant au monde de la santé « un message d’espoir et de fermeté », il a conclu par des « vœux de courage, car nous en aurons besoin »
D'ici à juin, un médecin traitant pour chaque patient en ALD
Face à un déficit d’accès aux soins qui « n'est plus acceptable », François Braun a rappelé l’objectif présidentiel de fournir un médecin traitant aux 600 000 patients en ALD qui en sont privés. « D’ici fin juin, tous les patients en ALD sans médecin traitant seront contactés pour qu’on leur propose des solutions concrètes », a-t-il assuré. Le ministère de la Santé installera, sous l’égide de l’Assurance-maladie, une instance de pilotage au niveau national, permettant de décliner ces démarches dans chaque territoire.
Des annonces sur la simplification en février
Priorité du gouvernement, la libération du temps médical passera par un choc de simplification, pour « permettre aux soignants de se concentrer sur leur cœur de métier ». Dès février, le ministre promet « de nouvelles simplifications », sur la base de la mission portée par le généraliste Jacques Franzoni et l'ancien directeur de la Cpam de Paris, Pierre Albertini. En attendant, Ségur entend faire « respecter dans tous les secteurs » les facilités déjà existantes. « Je pense en particulier aux certificats médicaux déjà supprimés, mais toujours sollicités », illustre François Braun.
À l’instar du chef de l’État, le ministre veut s’appuyer sur le déploiement à très grande échelle des assistants médicaux – 10 000 attendus d’ici à fin 2024 – et demande à la Cnam de faciliter « les démarches des médecins qui s’engageraient dans cette voie pour augmenter leur patientèle ». Dans la foulée, la ministre chargée des Professions de santé Agnès Firmin Le Bodo a précisé qu’elle souhaitait « entamer un travail avec les élus pour trouver des solutions aux médecins afin qu'ils puissent adapter leurs locaux pour accueillir des assistants médicaux ».
Plus fort sur les délégations
Toujours pour dégager du temps médical, François Braun mise sur une nouvelle répartition des tâches, afin « de concentrer le temps médical sur ce qui fait sa plus-value ». Il souhaite que l’expérimentation de certificats de décès rédigés par des infirmiers démarre dès la fin du premier trimestre 2023. Quelque 5 000 infirmières de pratique avancée (IPA) devront être en activité d’ici à fin 2024, espère-t-il. Après avoir apporté son soutien à la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist (Renaissance) sur l'accès direct aux paramédicaux, le ministre a livré un réquisitoire sévère contre « ceux qui portent haut le mépris et l’invective », vis-à-vis des autres professionnels de santé. « Ces comportements n’ont pas leur place dans la communauté des soignants ».
Vantant une délégation « cordonnée », le ministre s’est engagé sur quelques garde-fous, comme un « suivi précis et documenté de ces évolutions » afin d'en évaluer l’efficacité. « Le médecin traitant doit rester la pierre angulaire de notre système de santé, mais son exercice doit évoluer, avançons avec pragmatisme », a aussi encouragé Agnès Firmin Le Bodo.
Généraliser les CPTS
Le locataire du Ségur a appelé « solennellement » les soignants à « se mobiliser pour que l’exercice isolé devienne une exception ». Il a annoncé en ce sens la création d’un guichet unique pour tous ceux qui envisagent de créer une MSP, une équipe de soins primaires (ESP) ou spécialisés (ESS). « J’ai souhaité que le directeur général de la Cnam relance, rapidement, les travaux autour des ESS et des ESP », enjoint-il.
Agnès Firmin Le Bodo a, quant à elle, annoncé le lancement d’une mission sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), « pilotée par un médecin et un directeur de caisse primaire ». Celle-ci devra lancer « un tour de France des CPTS » – pour évaluer ce qui fonctionne ou pas – et faire des propositions d’ici à juin en vue d’une généralisation France entière.
PDS en ville : « pas négociable » !
Sujet explosif, la continuité de la permanence des soins n’est « pas négociable ». « L’engagement des médecins au titre d’effection ou de la régulation médicale, en plus de donner lieu à une rémunération dédiée, sera reconnu dans le cadre plus global de l’engagement territorial », a-t-il assumé, tout en promettant de « juguler les dérives parfois attachées au développement effréné des centres de soins non programmés ».
À cet égard, celui qui est aussi l’architecte du service d’accès aux soins (SAS) a rappelé l’engagement d’Emmanuel Macron de déployer cette plateforme partout, d’ici à la fin de l’année. Pour cela, « un tour de France des SAS sera engagé d’ici la fin du mois de février », détaille François Braun, qui souhaite en parallèle consolider quelques filières spécialisées comme la psychiatrie, la gériatrie ou la pédiatrie. L'occasion aussi pour lui de rappeler son attachement à l'appel préalable au 15 avant de se déplacer aux urgences. « Nous avons beaucoup progressé, il faut consolider cet acquis » a-t-il glissé.
PDS en établissement : vers des schémas communs public/privé
Si hôpitaux publics et cliniques se renvoient à tour de rôle la responsabilité de la permanence des soins (PDS-ES), François Braun a remis la balle au centre. Une mission Igas sera lancée « dans les prochains jours » pour « promouvoir une répartition équitable et ordonnée » de la PDS-ES. La même inspection a déjà appelé à ce que les ARS mettent en place des schémas engageant conjointement le public et le privé.
Quant à l'attractivité pour les soignants, la concertation promise depuis plusieurs mois devrait se tenir au premier trimestre. En attendant, « les mesures de valorisation issues de la mission flash de cet été seront maintenues », a ajouté François Braun. Il s'agit notamment du bonus de 50 % de l'indemnité de sujétion des PH et des internes, prévu pour l'instant jusqu'en mars. Une gratification jugée largement insuffisante par les syndicats de PH.
Régulation de l'intérim « cannibale » : c'est pour avril
Deux ans après l'adoption de la loi Rist qui posait un cadre précis à la rémunération des intérimaires, une date d'application a enfin été annoncée. À partir du 3 avril, les plafonds de rémunération (1 140 euros pour une garde de 24 heures) seront appliqués. Le temps que les ARS finissent d'évaluer les conséquences attendues pour les hôpitaux, notamment les plus petits qui risquent de manquer de bras. « Ce sera par endroits difficile, cela pourra tanguer mais j’ai la conviction qu’il ne faut pas lâcher », a avoué le ministre qui demande aussi aux cliniques privées de jouer le jeu de la modération. Censurée par le Conseil constitutionnel dans le dernier budget de la Sécu, la mesure visant à interdire l'intérim aux jeunes diplômés devrait revenir aussi sur le tapis.
Qualité de vie et management à l'hôpital : nouvelles concertations
Après les revalorisations salariales du Ségur, le ministère mise surtout sur la qualité de vie au travail et l'équilibre vie professionnelle/ ie familiale pour améliorer l'attractivité des carrières hospitalières. François Braun promet de travailler d'ici à l'été à « une nouvelle façon d'organiser le temps de travail des soignants, pour limiter les heures supplémentaires et donner plus de stabilité aux plannings ». Mais il s'est bien gardé d'évoquer les 35 heures qu'Emmanuel Macron a remis sur la table lors de ses voeux. En tout cas, une « concertation » avec les organisations syndicales et les fédérations se tiendra jusqu'en avril et aura vocation à se décliner sur le terrain.
Quant au tandem médico-administratif à la tête des hôpitaux que le chef de l'État a aussi relancé, « question à la fois ancienne et sensible », il « s'agit d'avancer sans posture, dans le respect des compétences, des responsabilités et des qualités des uns et des autres » a-t-il avancé. C'est le tandem Pr Olivier Claris (PU-PH aux HCL)/Nadiège Baille (DG du CHU de Dijon) qui va devoir s'y coller.
Fin du « tout T2A » : le travail remis sur le métier
Si Emmanuel Macron avait évoqué un peu rapidement la « sortie de la tarification à l'activité » lors de ses vœux aux soignants le 6 janvier, il s'agira plutôt de celle du « tout T2A » a précisé le ministre. Autrement dit, ce que le chef de l'État annonçait déjà en 2017… « Une équipe projet chargée de construire (...) le modèle cible sera installée au ministère dans les prochains jours », a précisé François Braun. En 2019, la task force menée par Jean-Marc Aubert avait déjà répondu à cette même question. Mais cette fois-ci l'objectif affiché est très différent : « c'est de tourner le dos à la logique comptable qui a présidé à la gestion du système et a pu aboutir à une forme de rationnement des soins », affirme l'ancien président de Samu-Urgences de France.
Négos conventionnelles : des signaux aux libéraux
Sans évoquer la revalorisation de la consultation de base, François Braun a tenu à lancer un message à ses confrères libéraux, sous forme d’appel à l’apaisement. « Je veux croire que nous sommes en mesure de trouver, dans le cadre de la négociation conventionnelle, un chemin qui permettra de réconcilier la juste prise en compte des préoccupations des médecins libéraux et la nécessité de faire évoluer les modalités d’exercice pour mieux répondre aux besoins de la population », a pressenti l’urgentiste.
Balayant d’un revers de main toute régulation à l’installation, le ministre a assumé sa stratégie : « mieux rémunérer le médecin qui s’engage sur le territoire, participe à la permanence des soins ambulatoires, augmente sa patientèle… ». C'est la recette du « contrat d’engagement territorial », déjà présenté par la Cnam aux syndicats lors des négos. « J’ai conscience que certains médecins sont déjà au maximum de ce qu’ils peuvent légitimement donner. Mais il ne peut y avoir de statu quo : la situation est trop sérieuse et les attentes de nos concitoyens trop grandes », a lancé fermement François Braun.
CNR : vers des pactes territoriaux
Fort des 250 réunions publiques du volet santé du Conseil national de la refondation (CNR), le locataire du Ségur a demandé aux élus locaux de « faciliter le quotidien des soignants ». Transport, logement, garde d’enfant… L’exécutif convie les territoires, en lien avec l’Assurance-maladie, à mettre en place des politiques locales « dédiées aux soignants », accessibles via un guichet unique. Ces « pactes territoriaux » devraient être déployés dès le second trimestre 2023.
Plus fort sur la prévention
En 2023, une nouvelle stratégie vaccinale sera élaborée pour donner une place « importante au développement de la vaccination contre le papillomavirus », a détaillé François Braun (qui est aussi ministre de la Prévention). Un nouveau plan de lutte conte le tabac devrait être lancé, tout comme l’élaboration d’une stratégie globale d’amélioration de la santé de la femme et un investissement « fort » sur l’activité physique. Aussi, la stratégie nationale de santé devrait être actualisée d’ici à la fin du premier trimestre, pour une durée probable de dix ans.
Violences contre les blouses blanches : un plan d'action
Face à la recrudescence des violences qui touchent les professionnels de santé – « 70 % des hospitaliers ont déjà été victimes de violences verbales, 28 % de violences physiques », rappelle Agnès Firmin Le Bodo – la ministre lance une mission dédiée à la sécurité des soignants. Des travaux confiés au Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, et à Nathalie Nion, cadre supérieure de santé à l’AP-HP. Un plan d'action sur la sécurité des soignants sera annoncé avant l'été.
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