Depuis de nombreuses années, toutes les autorités sanitaires du pays sont préoccupées par l’inflation des dépenses de santé et par la conviction que beaucoup d’entre elles ne sont pas indispensables, sont souvent contraignantes pour les patients et parfois même dangereuses.
C’est la raison pour laquelle l’Académie de Médecine s’est saisie du problème et a adopté le 9 avril un rapport : Comment améliorer la pertinence de stratégie médicale ?
Ce rapport a eu un accueil médiatique très positif et les réactions des usagers, des professionnels, des pouvoirs publics n’ont jamais été critiques et même très souvent fortement approbatives.
Dans l’analyse des causes de ces dérives, au milieu de toutes celles qui sont citées, l’Académie de Médecine a mis l’accent sur la responsabilité du corps médical essentielle même si d’autres facteurs extérieurs aggravent les choses.
Il est apparu que cette situation a été conditionnée par une défaillance de l’enseignement médical tout particulièrement au cours du 2e cycle des études à la fois dans l’approche théorique mais surtout dans l’approche clinique qui seule peut modeler un « état d’esprit » de médecine sobre.
Ce rapport souligne que la mentalité des étudiants en médecine n’est pas d’apprendre la médecine mais d’apprendre à réussir à l’Examen National Classant (E.N.C.) qui ne tient pas compte des acquis, notamment cliniques, du 2e cycle. En outre, ceci n’est pas digne de l’enseignement universitaire.
Depuis plus d’un an, nous attendons des propositions de réformes et nous sommes frappés par le silence.
J’accuse le Ministère de l’Éducation de l’Enseignement Supérieur de se satisfaire d’avoir établi un programme pédagogique certes de grande qualité mais dont l’application exigerait de doubler la durée du 2e cycle, proposition évidemment irréaliste.
J’accuse le Ministère de la Santé de s’être limité pendant un an à résoudre le problème par l’établissement de recommandations de bonnes pratiques qui sont certes utiles mais insuffisantes. Ce n’est pas en développant un travail considérable et d’excellente qualité portant sur une trentaine de situations chirurgicales que l’on résoudra les multiples problèmes, de dosages abusifs, de dépistages inutiles, d’examens d’imageries aberrants qui, jour après jour, altèrent chacune des fonctions du médecin. Peut-être, on peut espérer que les contraintes financières feront prendre en considération ce problème.
J’accuse la conférence des doyens de médecine de considérer nos conclusions avec une superbe indifférence, sans répondre aux demandes que nous avons faites pour ouvrir un débat contradictoire. Se contentant d’incantations en faveur de l’enseignement clinique, elle n’apporte aucune préconisation pratique. Considérant les défauts de l’E.N.C., elle croit réussir à en améliorer les résultats en modifiant les procédures informatiques concernant la réalisation et les résultats des épreuves dont on craint des effets pervers majeurs.
J’accuse l’Assurance-Maladie de continuer à rembourser des examens de dépistage pratiqués en dehors des recommandations en fonction de l’âge.
Je redoute :
Que la deshumanisation de la médecine dont chaque usager se plaint ne s’aggrave. Actuellement, des officines préparent des logiciels de décisions stratégiques qui seraient mis à la disposition de tout médecin et, en face de malades démunis, le praticien deviendra un ingénieur de la santé.
Je prédis :
Qu’à très court terme à côté de ces guichetiers, il n’y aura plus, pour répondre à la demande de la population en détresse, que les desservants des soit disant médecines parallèles qui sont les seuls à écouter les patients et à côté d’eux, les ostéopathes qui seront les seuls « à toucher » les malades.
On pourra dire que tout ceci est bien banal, une évolution naturelle et que systématiquement les vieux conservateurs ne savent pas s’adapter à l’évolution du monde moderne.
Souvenons-nous que nous avons entendu ce discours dans le cadre de l’éducation initiale de la jeunesse depuis 1968 et que nous sommes obligés tristement de souligner que, lorsque des comparaisons internationales sont faites en Europe, la France glisse peu à peu en bas du classement.
Nous ne voudrions pas qu’une telle évolution se produise dans le domaine de santé car in fine c’est chacun de nos concitoyens qui en souffrira physiquement et la collectivité nationale qui se ruinera peu à peu dans des actions inutiles. Nous pensons qu’il reste un très bref espace de temps pour redresser la barre avec fermeté et dire encore une fois ceci : « le roi est nu ».
* Membre de l’Académie nationale de médecine
Doyen Honoraire des Facultés de Médecine de Lyon
Ancien Président du Comité National d’Évaluation des Universités
Vice-Président du Conseil d’Administration des Hospices Civils de Lyon
Membre du Conseil d’Administration de la Fédération Hospitalière de France
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