La chronique de Richard Liscia

Pourquoi Juppé s'est retiré : l'ombre de Sarkozy

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Publié le 09/03/2017
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L'ombre de Sarkozy

L'ombre de Sarkozy
Crédit photo : AFP

Réuni lundi dernier, le comité politique des Républicains a voté « à l'unanimité » son soutien à M. Fillon. On accepte tout de la politique, y compris la langue de bois. Mais là, on se moque du monde. Le bateau de M. Fillon faisant eau, ceux qui, la veille encore, exprimaient publiquement leurs doutes, qui réclamaient une stratégie de rechange, qui n'en finissaient pas de nourrir des regrets lancinants sur leur cause perdue, sont venus nous clamer leur amour pour le candidat de la droite et du centre. Comme si les jours qui viennent n'étaient pas lourds de rendez-vous capables de tout remettre en question une fois encore ; comme si le rassemblement de cinquante ou cent mille personnes sur la place du Trocadéro représentait un plébiscite national ; comme si la méthode de défense de M. Fillon, faite de demi-aveux, d'excuses, de reconnaissance de ses erreurs, toutes choses qui lui semblent les meilleurs arguments du monde pour continuer sa course présidentielle, n'avaient pas choqué ceux-là mêmes qu'il finit toujours par subjuguer. Dans ses troupes, ses amis les plus sincères lui ont suggéré de partir. Mais, dans les réseaux sociaux, c'est la presse, sinon la démocratie, qu'on assassine parce qu'elle ose relayer le doute profond de la droite.

M. Fillon n'a pas triomphé parce qu'il est le plus fort, mais parce que, en coulisses, il a été adoubé par Nicolas Sarkozy. Il est resté seul au centre du jeu parce que des rivaux potentiels ont été éliminés. Alain Juppé était prêt à reprendre le flambeau, il a été soigneusement écarté par Nicolas Sarkozy qui, décidé à devenir un businessman et à abandonner la politique, assez réaliste pour savoir qu'il ne reviendra jamais en force dans le jeu, a fait en sorte que le candidat de la droite ait un programme comparable à celui qu'il aurait proposé lui-même s'il avait été en mesure de se présenter. D'où la forte participation de Sens commun à la manifestation de dimancher dernier. D'où la radicalisation des propos tenus par M. Fillon qui les tient un jour pour s'en excuser le jour suivant, tour à tour Dr Jekyll et Mr Hyde. D'où l'appel à peine voilé à l'électorat de Marine Le Pen. Qui, dans le passé, a utilisé cette stratégie, sinon M. Sarkozy ? Et qui a perdu néanmoins en 2012 ?

Un coup de force

Tant et si bien qu'après avoir été affaibli par « les affaires », M. Fillon, sous la houlette de M. Sarkozy, a pris un virage tangentiel de l'extrême droite, ajoutant ainsi au doute qu'il inspirait une orientation idéologique propre à s'aliéner les voix des centristes et d'une partie de la droite. C'est cette option qui a fermé la porte à l'éventuelle candidature d'Alain Juppé. C'est pourquoi le maire de Bordeaux a fait, dans sa ville et non à Paris, la déclaration lugubre, mais implacable, où il a à la fois annoncé son retrait définitif et stigmatisé le « gâchis » énorme causé par la communication complètement incohérente de François Fillon. Soyons clairs : il y a eu lundi au sein de la droite un coup de force de M. Fillon soutenu par l'ancien président de la République. La fameuse unanimité annoncée par Gérard Larcher n'était qu'une façon de renforcer un candidat ressuscité par M. Sarkozy (les alliances et renversements d'alliances sont innombrables entre amis). Quand on pense que ces deux-là se haïssaient à la fin du mandat de M. Sarkozy, qu'ils se sont présentés l'un contre l'autre à la primaire, que rien sinon l'occasion d'une convergence a permis à M. Sarkozy d'avoir encore de l'influence à défaut des honneurs et de la gloire, on se dit que le sort d'un électorat dépend de bien peu de choses. D'autant qu'avec M. Sarkozy, il y souvent un autre projet et que rien ne l'empêchera, s'il le souhaite, de saper l'autorité de M. Fillon et d'appliquer son propre plan B, qui s'appelle François Baroin.

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9562