Les praticiens internautes sollicités par « Le Quotidien » ont des avis contrastés sur l'implication croissante des maires sur l'accès aux soins. Si les projets de structures (centres, maisons de santés) sont jugés utiles par une petite majorité, bon nombre de médecins trouvent brouillonne l'action municipale. Sur bien des sujets, la profession attend des édiles davantage de soutien et de solutions pratiques.
Décidément, les médecins sont bons citoyens. Si l'on en croit le coup de sonde que nous avons effectué à l’occasion des municipales, ils seront presque 9 sur 10 à se rendre aux urnes dimanche prochain, soit – comme d’habitude – beaucoup plus que la moyenne de la population.
Mais qu’attendent-ils de ce scrutin ? Près d’un sur deux considère que la santé devrait être l’enjeu principal de cette campagne. Avec un regard parfois désabusé. « Avant de fanfaronner aux élections sur le sujet, ils feraient mieux de commencer par discuter honnêtement avec les professionnels de leur secteur (quand ils sont encore présents). En font-ils assez ? Je n'en sais rien, mais dans mon cas, ils le font mal » assène, définitif, un de nos lecteurs représentatif du sentiment agacé de beaucoup de confrères.
Sans surprise, les internautes jaugent surtout leurs maires sur la qualité de l'accès aux soins, de plus en plus problématique au plan local. Avec un jugement paradoxal : s’ils ne sont que 4 sur 10 à estimer « utile » l’action passée de leurs élus dans ce domaine, près de 60 % jugent quand même intéressants les coups de pouce des municipalités aux maisons de santé – et plus d’un sur deux la création de centres de santé communaux.
Avec quelques sérieux bémols sur les modalités. « Les maisons médicales sont une bonne idée mais encore faut-il les remplir avec des médecins », s'exaspère un médecin. L’essor du salariat ? « Les maires font tout et n'importe quoi et les médecins pensent que le salariat sera le paradis ; mais je suis prêt à parier que dans cinq ans le niveau de salaire des médecins dans ces centres de santé sera de 2 500 euros par mois pour équilibrer les comptes avant la prochaine échéance municipale »
Arrêtons le bashing
Las ! Pour nombre de nos contributeurs, la solution à la désertification passe précisément par une hausse des honoraires qui n’est pas du ressort du premier magistrat de la cité. « Arrêtez le bashing des médecins, ils sont tous mauvais sauf quand vous en avez besoin. Mais il faut les payer ! », martèle un praticien francilien. « Il faut comprendre que, sans rémunérations justes, équivalentes au minimum aux moyennes européennes, les déserts médicaux vont s'amplifier, » abonde un confrère d’une grande ville. Ce généraliste réclame « une action pour revaloriser la valeur de l’acte médical (G à 40 € par exemple) au niveau de ce que coûte un acte réalisé par un salarié ! » « Arrêtez de paupériser les médecins libéraux et ils reviendront spontanément partout, » assure un dernier, installé dans une grosse agglomération.
Alors que faire ? Certains soufflent la solution à leurs futurs élus. « Défiscalisez tous les déserts médicaux et le travail après 18H30 et vous verrez que les déserts disparaîtront, » conseille l’un d’entre eux. « Ce que j’attends d'un élu ? Une facilitation à trouver des locaux pour exercer en groupe et non des maisons médicales coûteuses. Ce n'est pas le rôle des médecins de créer le projet de construction et de payer. Le coût administratif de notre exercice est devenu exorbitant » ! souligne un généraliste de ville. Un confrère, exerçant lui aussi en milieu urbain, demande aux élus de « baisser le prix de l'immobilier pour l'installation médicale ».
Les élus, porte-voix du terrain ?
Si les maires avaient une baguette magique, ils pourraient procéder au remembrement sanitaire dont rêvent les patients, soignants et élus locaux. Mais on est loin du compte. À en croire certains praticiens, c’est une question de volonté mais aussi de méthode. « Les élus ont une mission d'intérêt général et doivent faire pression sur l’État pour l’accès aux soins de tous les Français », lance l’un d’eux.
Beaucoup récusent les initiatives improvisées dans leur coin par les élus. « Les initiatives qui n'ont pas de médecins pour origine sont condamnées à l'échec », alerte ce généraliste. « Écoutez la base des médecins installés et les conseils départementaux de l'Ordre », recommande le second. « Nos élus ne doivent pas partir seuls pour une maison médicale. Il est nécessaire qu’ils nous contactent directement, » préconise un troisième. « Faites confiance à l’expertise des acteurs sur le terrain, » supplie un quatrième !
La lancinante question des PV s’est invitée dans notre enquête. Plusieurs praticiens en milieu urbain dénoncent une forme de racket. Celui-là s’époumone : « Il ne faut plus emm… les médecins pour le stationnement automobile. » Cet autre invoque le service public rendu par la profession. « Il faut tenir compte de la spécificité des professionnels de santé concernant leur circulation, des stationnements, de plus en plus difficiles et sanctionnés, alors qu'ils remplissent une fonction d'utilité publique. » Conclusion du dernier en forme de mode d’emploi à l’usage des nouveaux élus : « Stationnement gratuit pour continuer à faire des visites à domicile et possibilités de se garer sur les places livraison. » Sera-t-il entendu ?
Pollution, sujet dans l'air
Un édile avertit en vaut deux : pas question de s’aventurer sur l’espace routier ou sanitaire sans en référer à qui de droit. Et pas seulement lorsqu'il s'agit de redéfinir les conditions d’exercice et de déplacement des soignants.
Car les médecins, dans leurs contributions, se montrent très attentifs à la qualité de vie de leurs concitoyens. Tel ce praticien qui espère la « mise en place d'une politique active et rapide de prévention du réchauffement climatique et de la pollution ». Ici, on réclame la végétalisation de sa commune. Cette autre blouse blanche définit une feuille de route verte des maires : « Faire en sorte que les nuisances sonores et de pollution par le trafic automobile et routier soient réduites. »
L’écologie est parfois définie de façon large, comme un moyen de « favoriser le sport/santé, la culture, l'éducation, un environnement non pollué, un cadre de vie agréable vert, sans immeuble et avec moins de circulation de véhicules à énergie thermique et de développer l'esprit de solidarité entre les personnes, le recyclage, etc. »
Les missions de la commune emportent aussi l’action sociale. Certains jugent indispensable « d’améliorer la coopération entre services sanitaires et sociaux ». Quand d’autres assignent aux vainqueurs de mars la mission « d’éduquer à la lutte contre les discriminations sociales. » Tout un programme !
334 médecins ont répondu à notre enquête sur lequotidiendumedecin.fr du 10 février au 4 mars 2020. Parmi eux 66 % exercent en milieu urbain (dont 18 % dans les agglomérations de Paris, Lyon ou Marseille), 24 % en milieu semi-rural et 10 % en milieu rural. 44 % des participants sont des généralistes et 56 % appartiennent à une autre spécialité.