Les médecins rongent leur frein. Notre sondage, effectué dans la dernière ligne droite du grand débat, le démontre de façon magistrale : le corps médical des années 2010 développe un fort (res)sentiment de ne pas être écouté assez. Cet état d’esprit n’est certes pas tout à fait nouveau, mais il semble désormais hypertrophié comme jamais.
Et d’ailleurs, comment expliquer autrement ce paradoxe ? Bons citoyens, les médecins participent aux élections plutôt plus que le reste des actifs (74% vs 69%). D’une manière ou d’une autre (syndicats, réunions publiques, conférences citoyennes…), un médecin sur deux a aussi participé à la consultation lancée par le président Macron ; là encore, c’est plus que le reste de la population (un sur quatre, selon Odoxa). Mais ils nourrissent quand même des doutes sur l’utilité de la démarche : 69 % pensent qu’elle n’est pas menée de façon indépendante du pouvoir et – ceci expliquant peut-être cela — 55 % estiment qu’elle n’aboutira pas à des mesures utiles pour le pays. Il faut dire que – même si la problématique émerge çà et là — ce remue-méninges semble passer largement à côté de la santé. C’est en tout cas l’opinion de près de huit médecins sur dix qui pensent que celle-ci a une place insuffisante dans le processus.
Ordre, syndicats, URPS : aucune institution épargnée
Il y a plus grave. Le malaise ne se cantonne pas à une mauvaise humeur conjoncturelle. Il semble toucher la démocratie sanitaire jusqu’au tréfonds. De l’avis des praticiens, si les patients sont désormais suffisamment (pour 46%) voire trop (pour 14%) représentés dans le système de soins, les médecins y ont de moins en moins droit de cité. Le diagnostic est sans appel : qu’ils soient généralistes ou spécialistes, 80 % des répondants à notre sondage estiment que les acteurs de santé bénéficient de moins de place qu’avant dans le pilotage du système de soins. Et ils sont encore davantage à estimer que la parole des soignants n’est pas écoutée dans les établissements ou au niveau des bassins de population. Cette surdité à l’égard des professionnels empire à mesure que l’on s’éloigne du terrain : moins d’un médecin sur dix pense en effet que la parole de sa corporation est prise en compte au plan régional ou national !
Triste constat à peine corrigé par la prise en compte des corps intermédiaires du secteur. Seuls 43,5 % des répondants estiment que les syndicats de leur profession les représentent bien. Ils ne sont plus que 37 % à dire la même chose de l’Ordre. Et un même quitus n’est accordé aux URPS que par 29 % des sondés. Jugement sévère aussi vis-à-vis des décideurs que sont les ARS (24 % des médecins se satisfont de leur pilotage), la CNAM (29 %), ou au plan national les agences de santé (37 %)…
Un panier de soins à revoir largement
Sur le second volet du grand débat autour de la fiscalité et de la dépense publique, les médecins ont pourtant des idées fortes à avancer. Coup de sang attendu concernant la fiscalité des « toubibs ». Sans surprise, les trois quarts de nos lecteurs jugent qu’ils acquittent trop de taxes et d’impôts. Et ce ne sont pas forcément les plus aisés qui se plaignent le plus : plus de 80 % des généralistes sont de cet avis contre 76 % des autres spécialistes.
Sur le versant dépenses de santé relevons quelques positionnements assez tranchés de la part du corps médical. Une petite moitié (47,4 %) pense en effet qu’il faut jouer sur les deux tableaux : à la fois « consacrer plus pour la santé et en même temps faire la chasse aux actes inutiles ». Au-delà, retenons aussi une divergence majeure avec leurs patients sur le périmètre de remboursement de l’Assurance maladie : seul un gros quart des Français pense qu’il faut plus de sélectivité dans le panier de soins, contre 60 % des médecins. Et ces derniers s’illustrent au regard des autres soignants par la radicalité de leur positionnement : pharmaciens et surtout infirmiers se montrant en effet infiniment plus prudents sur la diminution des prises en charge.
Coercition : médecins et soignants pas d'accord
Faut-il fermer les petits hôpitaux ? La question s’imposait au titre du troisième volet du grand débat centré sur l’avenir des services publics. Non, répondent les médecins. Mais seule une courte majorité (53 %) est de cet avis : dans les autres professions de santé, on recense beaucoup moins de partisans de la manière forte pour restructurer. Et c’est pour ne rien dire des Français, qui à 83 % refusent que des établissements mettent la clé sous la porte. Pourtant, c’est sur la coercition à l’installation que l'antagonisme soignants-soignés est le plus fort : il faut sauter le pas, suggèrent désormais 82 % des Français ; surtout pas, rétorquent 65 % des médecins arc-boutés sur la liberté d’installation, peut-être un des derniers piliers du libéralisme qui demeure vivace…
Santé et pollution : qu'est-ce qu'on attend pour réagir ?
Reste le dernier volet du grand débat qui tourne autour de la transition écologique. C’est peut-être là-dessus finalement que notre consultation a recueilli les avis les plus tranchés. À l’évidence, les pouvoirs publics seraient bien inspirés de suivre le diagnostic des médecins : ils sont plus de 86 % désormais à considérer que les pathologies liées à l’environnement sont devenues un véritable problème de santé publique. Lanceurs d’alerte ? Peut-être ont-ils cette impression, puisqu’ils sont une immense majorité (73 %) à penser que le système de santé – qu’il s’agisse de ses décideurs ou de ses acteurs — ne se préoccupe guère de ces pathologies de la pollution. Qui a dit que la médecine du futur passerait d’abord par la prévention ? Peut-être bien Emmanuel macron pendant sa campagne…