Il est 13 h 30 quand les blouses blanches s’élancent, sous le soleil, du parvis des Invalides aux cris de « médecins, pas larbins ! ». Une foule dense - 4 500 personnes selon la Préfecture de police et 10 000 selon les organisateurs - unie dans les rues de la capitale pour protester contre « l’extinction programmée » de la médecine libérale.
En tête de cortège, suivie par trois camions syndicaux, une délégation historique ouvre la marche. Tous les syndicats libéraux représentatifs (CSMF, MG France, SML, FMF, UFML-S et Avenir Spé-Le Bloc) mais aussi les juniors (Jeunes Médecins, Reagjir, Isni et Isnar-IMG), le collectif « Médecins pour demain », SOS Médecins, le Collège de médecine générale (CMG) et même - pour la première fois - l’Ordre des médecins, sont présents pour être « unis face au mépris ».
« C’est magnifique que vous soyez tous là ! », lance la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF.
« Le chef d‘orchestre, c’est nous ! »
« On nous dit que nous sommes de fainéants, des nantis, mais la médecine c’est nous ! Le chef d‘orchestre, c’est nous ! », surenchérit la présidente de la FMF, résumant en une phrase les colères du jour, principalement cristallisées contre la loi Rist - examinée au Sénat cet après-midi - qui introduit l’accès direct à certains paramédicaux.
« Après avoir réduit drastiquement le nombre de médecins, le gouvernement veut régler le problème en trois mois en inventant une recette miracle : coercition et dérégulation », dénonce au micro, la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France.
« À vos Rist et péril », « infirmiers et médecins épuisés, la loi Rist va nous achever » : dans le cortège, le texte défendu par la rhumatologue du Loiret donne en effet le sentiment d'une goutte d’eau pour une profession déjà au bord de la rupture. « Avec cette loi, je crains une perte de chance pour mes patients et un démantèlement de la médecine libérale », explique Emmanuel, généraliste venu de Chartres.
Blouse blanche et stéthoscope autour du cou, le praticien qui exerce en désert médical voit aussi dans le contrat d’engagement territorial (CET) mis sur la table par l’Assurance-maladie du « cynisme ». « On est déjà au maximum », résume-t-il.
« Le CET donne l’impression que les médecins se tournent les pouces depuis des années et que maintenant il faudrait les contraindre pour qu’ils se mettent enfin à travailler », abonde Raphaël Presneau, président de l’Intersyndicale nationale autonome des internes de médecine générale (Isnar-IMG).
« Ça nous fait du mal »
Rencontré boulevard du Montparnasse, Thibaud, généraliste dans le Val-de-Marne bat lui aussi le pavé pour défendre ses « patients malmenés par des décisions politiques ineptes ». Le médecin - membre du groupe « Médecins pour demain » - est venu ce mardi accompagné de trois consœurs rencontrées en ligne sur le groupe Facebook. Entre la loi Rist et la tournure des négociations conventionnelles, le généraliste est désabusé. « On fait de nous des médecins substituables, on nous enlève tout le plaisir de ce beau métier », raconte Thibaud. « Ça nous fait du mal », souffle-t-il, ému.
Chez les plus jeunes, c’est le sentiment d’incertitude et d’inquiétude qui règne. « Franchement, je ne sais pas où je serais dans deux ans », confie Tatiana, jeune généraliste installée dans le Loiret, qui déplore une « dégradation des conditions d’exercice » assortie de « mépris » de la part de la Cnam. « Le 1,50 euro d’augmentation a bien fait rire mes patients », ironise-t-elle.
« Ils font tout pour nous dégoûter, jamais je ne m’installerai à ces conditions, ce n’est plus de la médecine libérale, c’est du salariat déguisé ! », abonde Charline, remplaçante à Lyon. De fait, la baisse d’attractivité de la médecine générale se fait déjà sentir dans la rue de la capitale. « Je me fais du souci pour mon avenir », témoigne Eugénie, interne de médecine générale à Strasbourg. À côté, Anne-Laure, sa co-interne, a déjà pris sa décision : à la fin de son internat, elle partira exercer à l’étranger.
Un mouvement historique
Croisé sur le boulevard des Invalides, Cyrille Isaac-Sibille, député Modem du Rhône, est présent « pour écouter ce que les médecins ont à dire ». « Nous ne sommes plus beaucoup de députés à défendre la médecine libérale », affirme le parlementaire, ORL de formation. Alors que le cortège défile, le député lyonnais se dit « frappé du nombre de jeunes médecins et de femmes » et affirme comprendre la crise de la médecine libérale « qui ne sent pas écoutée, pas valorisée ». Le parlementaire de la majorité souhaite que les délégations de tâche se fassent « en bonne coordination avec les paramédicaux, avec un chef d’orchestre qui soit le médecin. On ne peut pas aller vers une médecine à deux vitesses », explique-t-il.
Au milieu de la foule, seule une poignée d’hospitaliers étaient venus soutenir leurs confrères de ville, comme Morgane, neurologue au CHU de Rouen. Elle aussi craint une « perte de chance » pour les patients avec la PPL Rist. Mais la PH voit surtout dans les mesures du gouvernement une intention « de rendre plus attractif l'hôpital, en nivelant par le bas l’activité libérale ».
Juniors et seniors, hospitaliers et libéraux : toutes les générations étaient réunies cet après-midi. « C’est un mouvement historique, ça fait des années qu’on n’avait pas vu ça ! », se félicite Olivia Fraigneau, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni).
Crédit photos : S. Toubon
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