La France serait-elle décidée, dans le sillage des États-Unis et de la Grande-Bretagne, à faire preuve d’un engagement politique fort dans la lutte contre la montée de l’antibiorésistance ? En tout cas, Marisol Touraine a annoncé en février la mise en place d’une « task force », chargée de lui faire des propositions d’ici à la fin du mois de juin. Une structure dont la présidence a été confiée au Pr Jean Carlet, grand spécialiste du dossier. Ancien chef du service réanimation polyvalente à l’hôpital Saint-Joseph (Paris) et ancien président du comité technique de lutte contre les infections nosocomiales (CTIN), le Pr Carlet préside actuellement l’alliance mondiale contre le développement des bactéries multirésistantes (AC2BMR ou WAAAR en anglais).
Innovantes et faisables
Cette task force est composée d’une quarantaine de personnes. « Elle compte une vingtaine d’experts de tous les horizons : des cliniciens, des microbiologistes, des vétérinaires, de directeurs de recherche… Et il y a une vingtaine de représentants des ministères et des différentes agences », indique le Pr Carlet, en précisant que la mission de la task force ne sera pas de faire un long catalogue de propositions, ni de proposer un nouveau plan antibiotiques. L’objectif est de venir, en complément du plan national d’alerte 2011-2016, pour faire des propositions susceptibles de faire baisser la consommation des antibiotiques de 25 % d’ici à 2016. « En fait, le souhait de la ministre est que nous lui présentions une dizaine de propositions d’actions un peu choc. L’idée est d’élaborer des propositions qui soient à la fois innovantes mais aussi du domaine du faisable », indique le Pr Carlet.
Dans sa lettre de mission, Marisol Touraine demande à ce dernier au moins une action phare dans chacun des trois axes stratégiques suivants : communication et information, comportements de prescription des professionnels, attractivité en matière de recherche industrielle. « Dans son courrier, la ministre met évidemment en exergue le problème du bon usage des antibiotiques en nous demandant de réfléchir aux raisons pour lesquelles il reste si difficile de modifier les habitudes de prescription des médecins français. Elle souligne aussi la nécessité d’améliorer l’information du grand public sur le sujet. Enfin, elle nous demande d’analyser les raisons pour lesquelles trop peu de nouveaux antibiotiques arrivent aujourd’hui sur le marché. Nous allons donc travailler pour essayer de définir de nouveaux modèles médico-économiques pouvant inciter les laboratoires pharmaceutiques à investir dans la mise au point de nouveaux antibiotiques », souligne le Pr Carlet.
Au total, cinq groupes de travail ont été constitués au sein de la task force. « Le premier va s’intéresser au coût humain de l’antibiorésistance, en termes de mortalité et de morbidité. Nous attendons d’ailleurs une prochaine étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) sur la mortalité liée aux résistances », indique le Pr Carlet, en précisant que les quatre groupes de travail portent sur le bon usage des antibiotiques, l’information-communication-éducation, la recherche-développement-innovation et enfin l’antibiorésistance et l’environnement.
Autant de victimes en Europe et Aux États-Unis
Le Pr Carlet ne peut en tout cas que se féliciter de cet engagement politique du gouvernement dans ce dossier qui, dans d’autres pays, est porté par les plus hautes autorités de l’État. Fin janvier, Barack Obama a annoncé qu’il souhaitait doubler les fonds fédéraux destinés à la recherche sur de nouveaux antibiotiques. Un document, publié par la Maison-Blanche, a alors précisé que le président américain allait demander au Congrès que l’enveloppe consacrée à cet objectif atteigne 1,2 milliard de dollars, soit 1 milliard d’euros. Selon les autorités, deux millions de personnes par an contractent une infection résistante aux antibiotiques aux États-Unis, et 23 000 en meurent. Un chiffre assez semblable à celui recensé en Europe (25 000 décès par an), comme l’a rappelé l’alliance mondiale contre le développement des bactéries multirésistantes dans une déclaration solennelle faite en juin 2014. Une déclaration dans laquelle groupe de 700 professionnels, en provenance de 55 pays différents, exhortaient les dirigeants politique à s’engager.
Le message a visiblement été bien reçu en Grande-Bretagne où, en juillet, le Premier ministre David Cameron a annoncé la constitution d’un groupe d’experts internationaux sur l’antibiorésistance. « Ce n’est pas une menace lointaine, mais quelque chose qui se passe sous nos yeux. Si nous échouons, nous ferons face à un scénario où les antibiotiques n’auront plus d’effet, nous renvoyant au Moyen Âge de la médecine », a alors déclaré David Cameron. « On ne peut que saluer cet engagement considérable. Dans ce combat, la mobilisation des responsables politiques de haut niveau est cruciale », souligne le Pr Carlet.
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