Le virus sauvage de la rougeole perturbe la mémoire du système immunitaire. Après l’infection, les anticorps dirigés contre d’autres pathogènes rencontrés au préalable sont moins nombreux. Deux études parues simultanément dans « Science » et « Science Immunology » ont décortiqué la façon dont ce virus altère l’immunité des personnes infectées en s’attaquant aux cellules mémoire. Cette « amnésie immunitaire » pourrait expliquer pourquoi l’infection par le virus de la rougeole peut entraîner, même plusieurs années après, des infections secondaires, et témoigne de l’intérêt majeur de la vaccination.
« Nous savions déjà que le virus de la rougeole entraîne une immunodépression transitoire en ciblant les cellules de l’immunité. Mais ces deux études apportent des précisions sur les mécanismes en jeu. Elles ont, de plus, le mérite de rappeler que la rougeole n’est pas une maladie anodine », commente pour le « Quotidien » le Pr Astrid Vabret, directrice du centre national de référence des virus de la rougeole, de la rubéole et des oreillons au sein du CHU de Cae.
11 à 73 % d'anticorps en moins
L'étude parue dans « Science » (1) a été menée auprès de 77 enfants issus d’une communauté protestante orthodoxe, connue aux Pays-Bas pour avoir un faible recours à la vaccination. Ces derniers n’avaient pas été vaccinés contre la rougeole et avaient contracté une forme légère de l’infection pour 34 d’entre eux et une forme sévère pour les 43 autres. Des échantillons de plasma ont été recueillis avant et 2 mois après l’infection et ont été analysés par VirScan. Cet outil de viro-immunologie permet de dépister des milliers d’anticorps dirigés contre divers pathogènes.
En comparant les résultats avant et après l’infection, les auteurs se sont aperçus que le virus de la rougeole diminue la diversité des anticorps : 11 à 73 % des anticorps du répertoire immunitaire des enfants non vaccinés ont été éliminés. En faisant oublier au système immunitaire sa rencontre avec de précédents pathogènes, le virus de la rougeole crée ainsi une vulnérabilité et entraîne un risque accru d’infections secondaires. Ces observations ont été confirmées par des expériences réalisées sur quatre macaques rhésus, dont le plasma a été analysé 5 mois après l’infection. La diversité de leur répertoire d’anticorps a été diminuée en moyenne de 26 %.
Ce phénomène d’amnésie du système immunitaire n’a en revanche pas été observé chez cinq enfants vaccinés inclus dans l’étude, ce qui suggère l’innocuité du virus atténué présent dans le vaccin. « Le virus sauvage de la rougeole fragilise le système immunitaire vis-à-vis d’autres pathogènes, mais il crée une immunisation protectrice très forte vis-à-vis de la rougeole elle-même, explique la Pr Vabret. Le virus vaccinal atténué, même s’il confère une immunité moins robuste pour la rougeole, n’altère pas la mémoire du système immunitaire ». D’où l’intérêt de la vaccination.
Selon les auteurs, l’immunité perdue contre certains pathogènes ne peut être rétablie qu’après une nouvelle exposition à ces agents, naturellement ou par la vaccination. Le Pr Vabret souligne toutefois que l’étude ne permet pas de connaître les effets à long terme de l’infection sur la mémoire immunitaire.
Surinfections
Selon l'étude de « Science Immunology » (2), le virus de la rougeole agit sur le système immunitaire de deux façons : il épuise le stock de clones de cellules B mémoire et perturbe le renouvellement des lymphocytes B mémoire naïfs.
Pour mettre en évidence ces conséquences, les auteurs ont séquencé les gènes des anticorps du répertoire des lymphocytes B naïfs et à mémoire d’enfants non vaccinés – de la même cohorte que l’autre étude – avant et après une infection par le virus de la rougeole.
« Ces nouvelles observations contribuent à démontrer que la rougeole n’est pas une maladie bénigne de l’enfance. Elle peut être à l’origine de complications pulmonaires et de surinfections au décours de l’infection mais aussi d’encéphalite à distance de l’infection, rappelle le Pr Vabret. La vaccination est à ce jour le meilleur moyen de s’en prémunir et de lutter contre l'épidémie en cours ».
(1) M. J. Mina et al., Science, doi: 10.1126/science.aay6485, 2019.
(2) V. N. Petrova et al., Sci Immunol, doi: 10.1126/sciimmunol.aay6125, 2019.
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