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Dossier

Greffe d'organes

Des solutions innovantes face à la pénurie

Par Charlène Catalifaud - Publié le 27/06/2019
Des solutions innovantes face à la pénurie

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SEBASTIEN TOUBON

Après plusieurs années de hausse, l'activité du prélèvement et de la greffe d'organes a baissé de 5 % en 2018. Après un début d'année inquiétant, cette baisse a toutefois été contenue par la mobilisation des différents acteurs du don d'organes. Dans un contexte de pénurie d'organes et alors que les indications pour la greffe sont de plus en plus étendues, cette baisse incite plus que jamais à développer des stratégies innovantes pour parvenir à réduire l'écart entre nombre de patients inscrits sur liste d'attente et nombre de patients greffés.

« Aucun pays n'est dans une situation d'autosuffisance, les besoins augmentent plus vite que les organes disponibles », indiquait Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de la biomédecine lors du live chat du « Quotidien » du 6 juin, précisant que la France est un pays très actif en termes de greffe. « La pénurie est commune à tous les organes », constate également le Pr Gilles Blancho qui dirige l'institut de transplantation urologie-néphrologie (ITUN) du CHU de Nantes.

Améliorer la qualité des greffons

Pour pallier ce manque d'organes, plusieurs approches sont développées telles que le recours à des greffons à critères élargis (donneurs âgés de 57 à 70 ans notamment). « Ils représentent désormais 80 % de l'activité de greffe pulmonaire à l’hôpital Foch, et les résultats sont aussi bons qu'avec les greffons "optimaux" », indique le Dr Édouard Sage, chirurgien thoracique à l’hôpital Foch et responsable de la chaire universitaire de transplantation (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/hôpital Foch).

Des techniques se développent pour améliorer la qualité de ces greffons non optimaux. Par exemple, l'hôpital Foch utilise en routine depuis 2016 une technique de « réhabilitation » ex vivo des greffons pulmonaires qui consiste à placer le poumon prélevé dans un dispositif médical en le perfusant avec un liquide nutritif pendant 2 à 4 heures afin d’optimiser sa fonction. « Depuis sa mise en place en 2011, d’abord en recherche puis en routine, 103 patients supplémentaires ont ainsi pu être greffés à Foch, avec d’excellents résultats », rapporte le Dr Sage. Quant à l'équipe du centre hépatobiliaire de l'hôpital Paul Brousse dirigé par le Pr Didier Samuel, elle contribue à une étude internationale visant à évaluer l'intérêt pour la greffe hépatique de la machine à perfusion nouvelle génération, Hope.

Diversifier l'offre

L'autorisation des greffons de type « Maastricht III » pour le rein, le foie et le poumon depuis 2014 apporte de nouveaux profils de donneurs, qui compensent la diminution du nombre de donneurs en état de mort encéphalique (due à la baisse des accidents de la voie publique et des AVC). Ces greffons, dits à cœur arrêté, sont prélevés chez des patients décédés après arrêt circulatoire à la suite d'une décision de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques. « L'intérêt majeur de ces greffons est de pouvoir programmer les interventions, même si le timing reste toujours très serré », explique le Pr Samuel. « Les poumons issus de ces donneurs Maastricht III sont d'excellents greffons », ajoute le Dr Sage.

Ces greffons n'ont pas été touchés par la baisse : ils ont augmenté de 20 % entre 2017 et 2018 (passant de 234 à 281). La greffe Maastricht III a pourtant mis du temps à se développer en France. « Aujourd'hui, nous sommes en train de rattraper notre retard grâce à une très bonne organisation », avance le Pr Blancho. Même si l'activité n'a pas encore dévoilé tout son potentiel : elle reste encore faible pour le foie et le poumon. Pour le Pr Samuel, « elle doit être développée de façon plus intensive ».

Encourager le don vivant

Encourager la greffe à partir de donneurs vivants est également essentiel, d'autant plus que ces greffons sont de meilleure qualité que ceux issus de donneurs décédés. En 2018, elle représentait environ 15 % des greffes pour le rein, mais seulement 1 % des greffes hépatiques. Pour favoriser le don vivant, la loi de bioéthique de 2011 autorise ce don au-delà du cercle familial : les personnes justifiant d'un lien affectif avec le receveur peuvent aussi être donneuses. La notion de don croisé, qui concerne deux paires donneur-receveur, a été introduite la même année pour le rein. « Le don croisé est difficile à mettre en place, car le nombre de paires inscrites sur la liste est trop limité pour avoir suffisamment d'options. Peut-être faudrait-il l'organiser à l'échelon européen », suggère le Pr Blancho.

Durée de vie des greffons

Plusieurs stratégies innovantes visant à améliorer la survie des greffons devraient voir le jour, à plus ou moins long terme. « L'enjeu de la durée de vie des greffons retentit directement sur la problématique de la pénurie, puisque cela va permettre de réduire le nombre de patients à retransplanter », explique le Pr Blancho.

En amont de la greffe, « une meilleure connaissance du système HLA permettra d'étudier encore plus finement la compatibilité entre donneur et receveur, et ainsi d'offrir plus de chances aux patients très immunisés », estime-t-il. Les patients dits immunisés sont des patients qui produisent dans leur sérum des anticorps anti-HLA et qui requièrent donc une compatibilité maximale pour limiter le risque de rejet.

« Les progrès de la bio-informatique devraient également nous permettre de prédire avec plus de précision le risque de perte de greffon à partir des facteurs personnels du patient pour tendre vers une médecine personnalisée », poursuit le Pr Blancho.

L'espoir de la banque d'organes

Afin d'améliorer la préservation du greffon entre le prélèvement et la greffe, la société française Hemarina a développé un dispositif appelé HEMO2Life à ajouter aux solutions de préservation classique. Grâce à une molécule issue de l'hémoglobine d'un ver marin (Hemarina-M101) qui fixe fortement l'oxygène, ce dispositif permet une meilleure oxygénation du greffon et ainsi une meilleure reprise de fonction de l'organe greffé. Les premiers résultats sont prometteurs, et le marquage CE est prévu pour cette année.

Une fois l'organe greffé, l'enjeu reste de trouver de nouvelles molécules permettant de mieux maîtriser la réponse immunitaire du receveur. « Il y a eu peu de nouvelles avancées ces dernières années », regrette toutefois le Pr Blancho.

D'autres pistes sont également étudiées, telles que la régénération des organes à partir des cellules-souches, le développement d'organes bioartificiels, la cryogénisation ou encore l’impression 3D, avec l'espoir de disposer peut-être un jour d'une banque d'organes, comme cela se fait déjà pour les tissus.

Charlène Catalifaud