Elle est jeune (35 ans), elle est jolie, elle est presque une débutante et pourtant Leïla Slimani – ou plutôt son roman « Chanson douce » (Gallimard) – a séduit les jurés du Goncourt, qui l'ont élu dès le premier tour par 6 voix sur 10 (contre Catherine Cusset et « L'autre qu'on adorait », Gaël Faye et « Petit pays » et Régis Jauffret et « Cannibales »).
Née au Maroc d'une mère franco-algérienne, médecin, et d'un père marocain, banquier, Leïla Slimani est venue à Paris à l'âge de 18 ans. Diplômée de Sciences-Po, elle s'oriente vers le journalisme et publie « Dans le jardin de l'ogre » en 2014, dont le sujet, l'addiction sexuelle féminine, et l'écriture sont aussitôt remarqués.
Loin d'être une comptine anodine, « Chanson douce » est un fait-divers terrible qui se lit comme un thriller : une nourrice, choisie avec soin par un couple de trentenaires parisiens aisés, a tué les deux enfants dont elle avait la garde. Pourquoi ? Leïla Slimani remonte le cours du temps et démêle les fils de cette tragédie en montrant comment, en dépit ou à cause de gentillesses accordées pour de mauvaises raisons et mal reçues, le fossé social va insensiblement s'élargir entre la nounou et les Bobos. Une réécriture actualisée du thème maître et serviteur.
« Babylone » (Flammarion), de Yasmina Reza, prix Renaudot, se présente aussi comme un thriller inversé, qui commence par un meurtre à l'occasion d'une fête entre amis-voisins intellos bourgeois vieillissants et se déroule en flash-back. Dramaturge émérite en même temps que romancière (« Heureux les heureux »), l'auteure met en scène « le monde des disparus, des émotions qu'on aurait pu vivre ». Les protagonistes, qui n'ont pas plus de présence que les nombreux objets décrits, sont montrés dans leur platitude et leurs « concepts creux », tandis que la tragédie se noue à cause d'un malentendu.
Un meurtre toujours, celui de Laëtitia Perrais, 18 ans, placée dans une famille d'accueil, violée et assassinée en 2011 près de Pornic, est au centre de « Laëtitia ou la Fin des hommes » (Seuil), qui a valu à Ivan Jablonka, 43 ans, de recevoir le prix Médicis du roman, alors qu'il s'agit d'un texte de non-fiction. L'historien (professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris-XIII-Nord) et écrivain (auteur d'une douzaine d'ouvrages) a mis en pratique sa théorie selon laquelle on peut concilier sciences sociales et création littéraire. Le livre est une enquête sociologique – l'auteur a interrogé les témoins et lu les minutes du procès – restituée sous forme littéraire. Il est à la fois une plongée dans l'âme de la victime et de son bourreau et une radiographie sans complaisance de la France actuelle.
« Les Élus » (Robert Laffont), prix Médicis étranger attribué au journaliste, traducteur et romancier suédois Steve Sem-Sandberg (« les Dépossédés »), repose également sur un travail documentaire rigoureux, une immersion dans la psychologie des personnages et une écriture poétique. Il raconte les souffrances morales et physiques d'enfants handicapés en 1941, regroupés dans un ancien hospice de Vienne transformé en enfer, depuis la « maison de redressement » au pavillon 17 où ils subissent la torture jusqu'au pavillon des « indésirables » où ils sont transformés en cobayes par les médecins du Reich avant d'être assassinés.
Un souffle romanesque
Les jurys des prix de l'Académie française et du Femina ont pour leur part distingué des titres portés par un réel souffle romanesque… sur fond de guerres. Adélaïde de Clermont-Tonnerre, 40 ans, auteure de « Fourrure », un premier roman très apprécié en 2010, actuellement directrice de la rédaction de l'hebdomadaire « Point de vue », a reçu le Grand Prix du roman de l'Académie française pour « le Dernier des nôtres » (Grasset), qui alterne les époques et les péripéties dans l'Amérique des années 1960 comme en Allemagne à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Judith Lynch pourra-t-elle épouser Werner Zilch ? L'auteure ne s'arrête pas ici sur la différence des classes sociales entre une riche héritière et un jeune ambitieux, mais sur le fait que le garçon né à Dresde, a été adopté par des Américains à l'âge de 3 ans alors que la mère de la jeune fille a vu sa famille périr dans les camps nazis.
« J'avais envie que ce soit un roman initiatique, certes. Mais j'avais envie que ce soit également un roman d'aventure, un roman d'amour, un roman parfois érotique. J'ai voulu mélanger tous ces genres pour créer un souffle romanesque ». « Le Garçon » (Zulma), qui a valu à Marcus Malte le prix Femina, se lit à la fois comme un récit d'apprentissage et comme une épopée qui balaye trente ans d'histoire, de 1908 à 1938. À la mort de la femme qui l'a élevé sans jamais rien lui enseigner, un garçon de 14 ans qui n'a pas de nom et ne parle pas, découvre le monde et l'humanité dans ce qu'elle a de meilleur – l'amour ou l'art – et de pire – la guerre surtout – et tente, au contact des autres, de devenir un homme ; mais « qu'est-ce qu'un homme ? Et en fin de compte, quand on y parvient, est-ce que ça vaut le coup d'être un homme ? ». À 49 ans, Marcus Malte (un pseudonyme) est l'auteur d'une douzaine de romans noirs ou polars (« Garden of Love », « les Harmoniques »), ainsi que de nouvelles et d'ouvrages pour la jeunesse.
La guerre civile au Liban est en arrière-plan du roman primé par le Femina étranger, « les Vies de papier » (les Escales) du Libano-Américain Rabih Alameddine, 57 ans. « Hakawati », l'un des cinq romans de cet ingénieur de formation qui est devenu peintre avant de troquer son pinceau pour la plume, est paru chez Flammarion en 2009. Le récit, aussi érudit que divertissant, est une balade entre passé et présent plus mélancolique que vindicative, déroulant les souvenirs d'une femme âgée, qui a compensé ses déboires et sa solitude en ne vivant que par les livres ; des images de Beyrouth dans les heures noires de la guerre civile ou de la piètre place des femmes dans la société libanaise la hantent.
Du côté des essais
Le Médicis essai est allé à Jacques Henric, 78 ans, pour « Boxe » (Seuil). Le romancier et essayiste y brosse les portraits des grands pugilistes de l'histoire et, à travers leurs biographies, traite de thèmes comme la violence, le racisme, le sexe, les religions…
Plus contesté, le prix Femina essai attribué à Ghislaine Dunant pour « Charlotte Delbo, la vie retrouvée » (Grasset), qui retrace la vie de l'écrivaine, résistante française d'origine italienne née en 1913, rescapée d'Auschwitz. L'auteure est accusée de s'être inspirée, sans les citer, de recherches effectuées depuis la mort de Charlotte Delbo en 1985, et en particulier de la biographie « Charlotte Delbo », de Violaine Gelly et Paul Gradvohl (Fayard, 2013).
Discuté aussi, le Renaudot essai à Aude Lancelin pour « le Monde libre » (Les Liens qui Libèrent). Une charge féroce dans laquelle l'ex-directrice adjointe de « l'Obs », licenciée de ses fonctions au printemps dernier, règle ses comptes. Alors que l'auteur affirme que « pas une phrase, pas un fait n'ont été inventés ou même déformés », Jean Daniel, cofondateur de l'hebdomadaire, a dénoncé un essai « prétentieux, complotiste, et logorrhéique ».
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