Une équipe de l’institut Pasteur vient de montrer que la résistance à l’ampicilline était apparue avant que cet antibiotique soit utilisé chez l’être humain. Ce qui suggère que la pénicilline G, utilisée comme facteur de croissance du bétail dans les années 1950 en Amérique du Nord et en Europe, a pu favoriser l’évolution et la propagation à l’homme de bactéries résistantes à l’ampicilline quelques années plus tard. Ces résultats sont parus dans « The Lancet Infectious Diseases ».
« Dans les années 1950-1960, la pénicilline G a été utilisée en masse dans les élevages, en parallèle avec le développement de l’élevage intensif », rappelle au « Quotidien » le Dr François-Xavier Weill, chef de l’unité Bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur et responsable de l’étude.
« À la fin des années 1940, des scientifiques américains ont découvert par hasard en supplémentant les rations animales avec de la vitamine B12 issue de fermentations de la bactérie Streptomyces que les animaux prenaient du poids. Ils ont compris que ce n’était pas dû à la vitamine elle-même mais à un antibiotique produit par les bactéries. Des antibiotiques du commerce à faible dose ont ensuite été rajoutés aux rations des animaux en Amérique du Nord puis en Europe. » Aujourd’hui, l’utilisation d’antibiotiques comme facteurs de croissance est totalement interdite en Europe, mais toujours autorisée dans les pays à revenus faibles et moyens, ainsi qu’aux États-Unis.
Délai d’émergence de la résistance très court
L’ampicilline a été commercialisée pour l’usage humain en 1961 et les premières épidémies dues à des bactéries résistantes à cet antibiotique sont observées en 1962-1964. Un délai d’émergence de la résistance particulièrement court et qui a mené à cette recherche de l’équipe de Pasteur sur la Salmonella enterica sérotype Typhimurium. « En fait, la résistance était déjà là avant la commercialisation, précise le Dr Weill. Et quand l’antibiotique a été utilisé chez l’homme, elle s’est amplifiée. »
C’est grâce à la collection de bactéries très anciennes de l’institut Pasteur (qui fêtera l’an prochain ses 130 ans) que les chercheurs ont pu mener cette étude à bien. « Nous souhaitions revenir au début, quand les souches bactériennes étaient sensibles, pour mieux comprendre la survenue des résistances », indique le Dr Weill. Pour cela, les chercheurs ont analysé 288 souches historiques de S. Typhimurium, isolées à partir d’humains, d’animaux et d’aliments venant de 4 continents entre 1911 et 1969. Ils ont analysé la sensibilité de ces souches aux antibiotiques et séquencé leur génome, identifiant ainsi des gènes de résistance à l’ampicilline dans 11 des souches d’origine humaine (soit 3,8 %).
Transfert des gènes de résistance
Cette identification rétrospective des premières salmonelles résistantes à l’ampicilline ne montre pas la causalité mais suggère que c’est l’utilisation de pénicilline G dans les élevages qui est à l’origine de cette émergence très rapide. En effet, les gènes de résistance à l’ampicilline peuvent être transférés entre des souches naturelles de S. Typhimurium lorsque ces souches sont exposées à des niveaux relativement faibles de pénicilline G (semblables aux doses résiduelles retrouvées dans les élevages il y a plusieurs décennies) ont montré les chercheurs.
L’un des gènes de résistance a été retrouvé en France et en Tunisie en 1959 et 1960. Or, les plasmides sur lesquels était présent ce gène étaient différents de ceux présents dans les souches responsables des premières épidémies au Royaume-Uni dans les années 1960. L’émergence précoce de la résistance à l’ampicilline aurait donc été causée par des acquisitions multiples et indépendantes des gènes de résistance par diverses populations bactériennes.
Pour une approche « One health »
Un commentaire de biologistes belges dans la même revue rappelle que « la lutte contre la résistance antimicrobienne requiert une approche multisectorielle (appelée « One Health ») impliquant des experts en santé humaine, animale et environnementale ».
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