Jeune généraliste, mais aussi spécialiste de la médecine nazie en Alsace durant l’occupation, le Dr Toledano a découvert presque par hasard une lettre écrite en 1952 par le Pr Simonin, médecin légiste de la Faculté de Strasbourg, à la veille du procès de trois professeurs nazis de l’université allemande de Strasbourg (voir second article). Il y mentionne deux bocaux contenant des fragments humains, destinés à servir de preuve à charge contre le Pr Hirt, anatomiste qui avait fait exécuter de nombreux déportés dans le cadre de ses recherches scientifiques. Hirt, qui se suicida en 1945, fut condamné à mort par contumace lors de ce procès, tenu en 1952 à Metz.
Début juillet, le Dr Toledano, éclairé par cette lettre, demanda à l’institut de médecine légale de lui ouvrir les portes de son petit musée, une simple pièce située en face du bureau du directeur : en sa présence, le Dr Toledano parvint à retrouver ces bocaux parfaitement étiquetés. L’un d’entre eux contient des fragments de peau, et l’autre le contenu de l’intestin et de l’estomac – des pelures de pomme de terre – de l’un des 86 déportés juifs assassinés par Hirt en 1943 dans le but de constituer une collection anatomique.
Un travail d’inventaire
Au-delà de son intérêt scientifique, cette découverte pose à nouveau le problème des fragments et pièces issus du camp de concentration du Struthof et conservées à Strasbourg. À la fin des années 1990, une vive polémique opposa la Faculté de Médecine et quelques médecins et chercheurs qui reprochèrent à cette dernière de conserver encore des pièces prélevées sur des déportés du Struthof, en particulier en anatomie. Selon l’université au contraire, aucune pièce de cette période ne subsistait dans ses collections. Un inventaire détaillé avait été mené dès 1945, et avait notamment permis d’enterrer dignement les corps des victimes de Hirt retrouvés à l’institut.
Les découvertes du Dr Toledano, par ailleurs chercheur au « centre européen du résistant déporté », installé dans l’ancien camp de concentration du Struthof, montrent donc que, en dépit des affirmations officielles de l’Université, il peut subsister encore des fragments anatomiques prélevés sur des déportés même si, comme le rappelle le Pr Jean-Marie Le Minor, anatomiste à la Faculté de Médecine, « il s’agit, dans le cas présent, de fragments conservés à des fins judiciaires, et pas du tout à des fins de collection ou d’enseignement ».
Pour le Pr Jean Sibilia, doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg, les découvertes du Dr Toledano révèlent que la Faculté « n’a pas mené de manière assez systématique le travail de mémoire et d’inventaire qu’elle aurait du faire sur cette période ».
« Nous avons parfaitement éclairci l’origine des pièces conservées à l’institut d’anatomie normale, mais pas assez contrôlé les collections d’autres instituts, notamment en médecine légale, en histologie, en anatomie pathologie, en embryologie et en dermatopathologie », poursuit-il, en annonçant que ce travail allait dorénavant être mené par une commission scientifique. « C’est à l’université de le faire, ajoute-t-il, ce qui est le meilleur gage de sérieux et d’objectivité, et je regrette que nous ne l’ayons pas fait plus tôt. »
D’autres universités concernées ?
Strasbourg pourrait toutefois ne pas être la seule université à conserver des restes de ces déportés, car un certain nombre de bocaux contenant des viscères ont été envoyés à Paris en 1945 pour des analyses toxicologiques et histologiques. Comme le précise le Pr Simonin dans le rapport qu’il effectua fin 1945 après avoir autopsié 17 corps retrouvés dans les cuves de l’institut d’anatomie, 23 bocaux ont été adressés au Val-de-Grâce et quatre à la Faculté de Pharmacie de Paris.
Enfin, la polémique actuelle sur les fragments de corps se double d’une polémique religieuse : pour les autorités juives, les fragments retrouvés devraient être enterrés aussi vite que possible, et auraient même du l’être dès leur découverte. Pour la Faculté de Médecine au contraire, ces pièces, conservées à l’époque uniquement pour des raisons judiciaires, ne pourront être inhumées qu’après une décision de justice, qui a maintenant été saisie du dossier. L’inhumation des restes étaient prévus dimanche dernier, 6 septembre (voir encadré).
Une cérémonie solennelle
Les fragments humains de victimes juives du médecin nazi August Hirt ont été solennellement inhumés dimanche en présence de centaines de personnes, parmi lesquelles le grand rabbin de Strasbourg René Gutman, le président de l'Université de Strasbourg Alain Beretz, le préfet d'Alsace Stéphane Fratacci, le président de la région Alsace Philippe Richert (Les Républicains), des élus et des anonymes issus de la communauté juive, ainsi que le chercheur à l'origine de la découverte Raphaël Toledano.
Le médecin Michel Cymes, présentateur du « Magazine de la santé » sur France 5, était également présent, ainsi que le journaliste allemand Hans-Joachim Lang qui était parvenu à préciser en 2003 l'identité des 86 victimes, ainsi que la directrice du Centre du résistant déporté du Struthof, Frédérique Neau-Dufour.
Un hommage solennel a été rendu à ces victimes, qui ont été enterrées au carré israélite du cimetière du quartier de Cronenbourg à Strasbourg, où reposent les dépouilles de 86 juifs assassinés dans la chambre à gaz du camp de concentration du Struthof, situé en Alsace. Le cercueil a été inhumé en présence de drapeaux tricolores, à l'issue d'une cérémonie marquée par la lecture du kaddish, la prière juive aux morts, et du « Chant des déportés », et qui coïncidait avec le jour dédié aux victimes de la Déportation. (Avec AFP)
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