› Tribune libre
Un séminaire s’est tenu récemment dans le cadre de l’Académie de médecine**. Il avait pour objet « d’étudier les conceptions présidant à l’organisation des prélèvements d’organes et de la greffe en France, au Canada et aux États-Unis » afin « de comprendre les raisons amenant de part et d’autre de l’Atlantique et à partir de valeurs communes, à des choix différents sur les règles essentielles gouvernant le prélèvement d’organes dans ces pays ». À cette occasion, j’ai fait part à l’auditoire, comptant bon nombre de néphrologues et transplanteurs français et étrangers, de réflexions que certains ont, semble-t-il, considérées comme iconoclastes.
Comprenons-nous bien ! La plupart des interventions ont fait apparaître l’augmentation du nombre des transplantations, l’amélioration des résultats, mais aussi la pénurie d’organes, pénurie qui s’aggrave au fil des ans, entraînant un allongement des listes d’attente. Aux États-Unis en 2007, 92 225 patients étaient inscrits sur la liste d’attente, pour environ 27 000 greffes effectuées, provenant de moins de 14 000 donneurs.
Pour tenter d’inverser le creusement de l’écart entre la demande et l’offre, diverses mesures ont été mises en place, mais leurs effets restent insuffisants :
– optimisation de l’organisation, de la logistique du don d’organes ;
-– développement des prélèvements sur donneur en état de mort encéphalique en adaptant les dispositions concernant le recueil du consentement ;
-– plus récemment prélèvements sur donneur décédé après arrêt cardiaque ;
-– utilisation d’organes « marginaux ».
Variable d’ajustement ?
Il est très improbable à ce jour que ces différentes sources suffiront à mettre un terme à la pénurie, car la demande d’organes continuera, à travers le monde, de croître plus vite que le nombre d’organes disponibles, et cela constitue d’ailleurs une forte incitation à développer les prélèvements d’organes sur donneur vivant. À ce propos, les données présentées au séminaire font apparaître des différences importantes selon les pays. C’est sur cette constatation que portent principalement mes interrogations :
– Ces différences s’expliquent-elles par le comportement des citoyens, plus (comme en Norvège), ou moins (comme en France) capables d’un acte généreux, ou sont-elles dépendantes des conditions dans lesquelles le consentement du donneur est obtenu ? Les exigences, en cette matière, sont particulièrement rigoureuses dans notre pays, attentif au respect des principes d’indisponibilité et de non-patrimonialité du corps humain. Plus ou moins de rigueur constituerait en quelque sorte, une « variable d’ajustement ». Il serait bon qu’un prochain colloque international établisse « un état des lieux » sur ce point.
– Les transplantations d’organes représentent le meilleur traitement des insuffisances organiques chroniques, ce que personne ne conteste. Si, comme il est probable, l’accroissement de la demande d’organes se poursuit, on est d’ores déjà assuré que l’équilibre entre demande et offre ne pourra pas être durablement maintenu.
Face à une telle situation, il sera impossible de s’opposer au développement d’un marché noir international dont les prémices apparaissent déjà, avec comme conséquence une marchandisation des organes humains. Déjà, un rein est vendu sur « le marché mondial » de 80 000 à 100 000 euros. Il est payé au donneur 500 euros en Afrique et 5 000 en Turquie et, selon l’OMS, en 2005, 10 % des transplantations effectuées dans le monde ont été réalisées avec des organes acquis grâce à un tel trafic.
Quelques pistes.
Si j’ai abordé cette problématique, c’est avec le souci, non de retarder une évolution redoutable mais de la prévenir ou, mieux, de s’y préparer, et certainement pas de décourager toute initiative pouvant augmenter les prélèvements d’organes, mais pas à n’importe quel prix !
Les pistes envisageables sont les suivantes :
– continuer d’investir dans les recherches sur les xénogreffes malgré les résultats peu encourageants ;
– explorer les perspectives ouvertes par les nouvelles technologies et les applications possibles des nanotechnologies en matière d’organes artificiels. Opposer au « confort » de la transplantation rénale les contraintes du rein artificiel tel qu’on le pratique depuis 50 ans, c’est méconnaitre les progrès réalisés et les espoirs dont font régulièrement état, par exemple, les congrès annuels de la Société européenne pour les organes artificiels. L’annonce de son 35 e congrès en 2008 titrait ainsi : « Depuis 50 ans, les recherches dans le domaine des organes artificiels ne cessent de progresser. Une approche qui pallie la transplantation et sauve des vies …»
Une analyse lucide de la situation présente confirme, comme prévu, que l’aggravation de la pénurie d’organes allonge la durée d’attente, que les insuffisants rénaux dialysés, pour ne parler que d’eux, sont exposés à la déception et, si l’attente se prolonge des mois voire des années, au désespoir qu’entraîne tout rêve inassouvi.
On doit souhaiter que la réussite des séminaires de 2009 et 2010 sur le don d’organes encourage les organisateurs à poursuivre leur initiative. Je suggère dÈs aujourd’hui d’inscrire au prochain programme les deux thèmes suivants :
– analyse des facteurs « discriminants » les pays où offre et demande sont équilibrées, comportant les procédures de recueil du consentement ;
– nouvelles technologies, nouveaux traitements des défaillances organiques chroniques. La participation de l’ESAO (Société européenne pour les organes artificiels) serait précieuse.
Alors, rendez-vous dans un an ?
* Université Henri Poincaré, Nancy.
** Organisé par le ministère des Affaires étrangères, les commissions française et canadienne pour l’Unesco, avec le soutien de l’Académie nationale de médecine et de l’Agence de la biomédecine.
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