Les esprits – sans doute éclairés par quelques souvenirs de leurs études secondaires, au temps où il était coutume de décliner la langue de Virgile ou d’Homère durant des études classiques que l’on opposait déjà aux modernes – feront remarquer que les langues dites mortes ont généré une myriade de mots que le médecin utilise au quotidien.
Connaissant l’étymologie, il en retrouve facilement le sens. Sans doute d’autres esprits instruits des mêmes principes hellénistiques et latinistes énonceront que la connaissance de l’origine des mots permet d’accéder à une pensée originale et authentique. Lire en grec ou en latin permet au lecteur assidu de parcourir un chemin balisé à distance des approximations de la traduction et de la pensée commune. Savoir par exemple que le mot « vie » en grec se dit Zoé, Bios, ou Psuché, n’est pas un simple savoir livresque, mais une connaissance qui fondera une réflexion éthique touchant aux origines ou aux termes de la vie. Saisir en un seul mot les concepts de vie zoologique, biologique ou psychologique, c’est user d’un instrument qui permet de les distinguer et donc de les définir, de les opposer et donc de les systématiser, de les étudier et donc d’ancrer une réflexion philosophique au plus près de la vérité, en marge des errances et des oublis. Connaître l’origine d’un mot, c’est permettre à la pensée de progresser ; saisir son sens premier c’est se donner la possibilité de repenser un monde ; comprendre ensuite les glissements de sens, c’est ouvrir des chemins de recherche au-delà des poncifs.
Une faculté de penser
Nous pensons par les mots : amputer de leurs racines, abolir leur enseignement, revient à se priver d’une connaissance, d’un pouvoir de discernement, d’une faculté de penser originelle et donc originale. Avant que la langue anglo-saxonne devienne un outil de monoculture, l’étudiant en médecine, du Moyen Âge à la Révolution, suivait un enseignement baptisé « Humanités ». Cet enseignement dispensé préparait à l’entrée dans l’une des trois facultés de l’Université (droit, médecine et théologie) auxquelles sera ajoutée la philosophie. L’enseignement du latin et du grec ancien, au cours des Humanités, marquait une continuité dans la transmission d’un savoir, synonyme de chemin de méthodes et de sens. Nous vivons une rupture de la transmission, et conséquemment nous séparant de tout esprit critique, au nom de la pluridisciplinarité, nous avançons sans repère, pareil à un navire qui voguerait dans la nuit sans phare. « Pluridisciplinarité : une belle mais fallacieuse enseigne pour couvrir le renoncement du chef d’orchestre, le professeur, à surmonter la cacophonie des instrumentistes, les élèves, partant dans tous les sens », écrit Marc Fumaroli (« Les humanités au péril d’un monde numérique » FIGARO VOX, Vincent Tremolet de Villers, 31/03/2015).
Ce n’est pas de la remise en cause de la pluridisciplinarité en tant que telle dont il est question, bien au contraire, mais de la qualité de son fondement. En supprimant l’enseignement du latin et du grec – ou en limitant l’accès –, c’est la qualité de l’enseignement supérieur des Lettres au plus haut niveau qui est menacé. C’est aussi en sélectionnant les étudiants en médecine uniquement sur les enseignements scientifiques, le risque de voir disparaître ou du moins menacer toute possibilité d’échange de haut niveau entre savoirs scientifiques et littéraires. C’est encore, et conséquemment, faute de références communes enseignées signifiantes, le risque de voir réapparaître des Hommes parlant des langages différents sans se comprendre, une sorte de Babel des temps modernes.
Les rencontres fertiles que nous avons entre laboratoires de recherches engageant philosophes de La Sorbonne et médecins de Paris Descartes, via le Laboratoire d’Éthique, impliquent la nécessité de voir fonder ces échanges, porteurs et générateurs de sens pour les étudiants en médecine d’aujourd’hui et de demain.
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