Minutieusement préparé dès 1943, le dispositif sanitaire du « Jour J » avait tablé sur un nombre très élevé de victimes, mais les pertes alliées furent finalement moins lourdes que ce que redoutaient les états-majors. Le 6 juin, les Alliés eurent tout de même 2 500 morts et 11 000 blessés à déplorer, nombre qui atteignit, fin juin, 8 500 morts et 38 000 blessés. En dehors des personnels de santé accompagnant les divisions aéroportées et des unités sanitaires parachutistes, l’essentiel des soignants et de leur matériel fut acheminé par la mer, y compris un hôpital mobile de 1 500 lits, complété les jours suivants par d’autres structures du même type. En outre, les Britanniques engagèrent sur « leurs » plages 15 postes de secours médicaux et chirurgicaux capables d’accueillir chacun 170 blessés. Les Américains débarquèrent 20 unités chirurgicales dans leur secteur, dont la plage d’Omaha qui fut la seule où les assaillants, bloqués au pied des falaises puissamment défendues, subirent d’énormes pertes et manquèrent d’être refoulés à la mer.
Dans leurs souvenirs et leurs témoignages, les médecins alliés racontent qu’ils se mirent au travail à peine sortis de leurs barges. Un lieutenant du service de santé britannique écrit : « Notre chirurgien commença à opérer immédiatement sous une tente et continua jusqu’à épuisement complet. Il aurait dû être relevé le soir par une unité chirurgicale mais elle ne vint pas et il dut continuer. Nous nous étions levés à 5 heures du matin le lundi et il fallut travailler dans des conditions extrêmes jusqu’au jeudi à 24 heures. Nous avions en permanence une cinquantaine de blessés, il n’y avait presque rien à manger et nous grignotions des biscuits de soldat en buvant du thé arrosé de whisky. Nous avions de grandes quantités de cigarettes que nous distribuions aux blessés et qui, comme le thé, avaient un effet formidable… »
La théorie… et la pratique
En théorie, les cas les plus lourds devaient être évacués vers l’Angleterre, dont la totalité des hôpitaux avait été mobilisée pour le débarquement, mais, surtout les premiers jours, les médecins n’ont guère d’autre choix que d’opérer à la chaîne tous les blessés qu’on leur amène : « Mes hommes apprenaient la chirurgie de guerre sur le terrain, car aucun n’avait connu cette expérience auparavant », écrit un chirurgien britannique, le Dr Watts : « Un bras à amputer suivait une fracture du fémur, puis vinrent des plaies graves avec risque hémorragique à traiter d’urgence. Il était plus de minuit mais les blessés continuaient à affluer… » Les services de santé étaient d’autant plus débordés qu’ils subirent eux aussi des pertes, avec des morts et la destruction de leur matériel, sans compter les unités qui furent débarquées ou larguées par erreur dans des zones minées ou totalement excentrées, et ne purent donc remplir leur mission aussi vite que prévu.
Les unités de la bataille du bocage
Lorsque les Alliés eurent pris solidement pied en Normandie, ils purent renvoyer des blessés en Angleterre, soit par bateau soit par avion. Par contre, la « bataille du bocage », jusqu’au mois d’août, se révéla beaucoup plus difficile qu’escompté, et les unités sanitaires travaillèrent sans répit, parfois dans des conditions étonnantes. Des artilleurs tirèrent même des obus désactivés, mais remplis de plasma et des médicaments, pour venir en aide aux blessés d’un régiment américain encerclé. Médecin dans une unité de chars américains, le Dr William Cohen raconte qu’après le débarquement proprement dit, les plages accueillirent de nombreux hôpitaux sous tente, dans lesquels ont soignant les blessés touchés sur les lignes de front. « Je n’ai débarqué que le 11 juin, mais ça a été tout de suite l’enfer, je devais m’occuper de trois unités de premiers soins en plus de la mienne, à des kilomètres l’une de l’autre, nous avions des morts et des blessés tous les jours. »
L’utilisation massive du plasma et du sang, récolté durant plusieurs mois dans toute l’Angleterre et aux États-Unis, mais aussi la pénicilline et le recours à de nombreuses techniques nouvelles dont les remplissages de soluté ont permis de sauver de nombreuses vies : alors qu’en 1914-1918, les deux tiers des blessés à l’abdomen mouraient de leurs blessures, ce taux diminue de moitié en 1944. Toutefois, rapporte le Pr Henri Reinhold, anesthésiste belge qui débarqua avec l’armée britannique, les tentes dites de « resuscitation », évoquent certes la réanimation, mais, en réalité, il y avait peu d’appareils modernes, la réanimation respiratoire n’existait pas et l’état du patient était évalué essentiellement par l’aspect de la peau, le pouls et la pression artérielle. Dans les tentes chirurgicales, on plaçait les patients sur des tables d’opération rudimentaires, avec l’aide de coussins et de couvertures.
À la fin de la guerre, le Maréchal Montgomery pourra dire que cette campagne a aussi été « une victoire des médecins et de la santé ». Mais, en 1944, la route de Berlin est encore longue : elle passera aussi, au printemps 1945, par la découverte des camps de concentration nazis, dernière grande épreuve pour les services de santé alliés qui tenteront, autant qu’ils le peuvent, de sauver les déportés enfin libérés. Et c’est aussi à la vue des atrocités commises dans les camps que naîtra l’une des autres grandes évolutions de la médecine contemporaine, la codification de l’éthique, en 1946, lors des procès des médecins de Nuremberg.
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