Une étude publiée ce 1er février dans « The Lancet Global Health » apporte des preuves scientifiques du lobbying de l'industrie de l'alcool, et démontre comment elle parvient à imposer son argumentaire dans des discussions internationales, au détriment des considérations sanitaires, et en toute opacité. Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la consommation d'alcool serait responsable de 14 % de la mortalité des 20-39 ans. En France, une expertise collective de l'Inserm évalue à 41 000 le nombre de décès annuels par an.
Les chercheurs en santé publique ont épluché les comptes rendus écrits des discussions du comité relatif aux obstacles techniques au commerce, au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), entre 1995 et 2019. Pendant cette période avaient été présentées 10 propositions pour renforcer les messages d'informations sur les boissons alcoolisées. Les États membres de l'OMC avaient prononcé 212 déclarations à leur sujet, la majorité venant de l'Europe, des États-Unis ou de Nouvelle-Zélande. Les auteurs ont comparé les réponses des participants à ces débats et les arguments régulièrement avancés par les alcooliers dans des débats à l'échelle nationale.
Manque de transparence
Résultat : 3 % des interventions (7 sur 212) affichent clairement refléter la position de l'industrie (trois issues des États-Unis, trois du Mexique, la dernière du Canada), quand 55 % (117/212) reprennent un ou plusieurs arguments du lobby alcoolier, sans le reconnaître explicitement. Revient ainsi très fréquemment l'idée que les exigences autour de l'affichage sont trop contraignantes et coûteuses pour le marché.
Dans le détail, 22 % des déclarations des membres de l'OMC minimisent les risques liés à l'alcool, contestent leur impact sur l'ensemble de la population, estimant que seules certaines populations sont à risque (mineurs, conducteurs, femmes enceintes) ou certains modes de consommation (excès, consommation pathologique, etc.), et vantent les bénéfices d'une consommation modérée.
Quelque 27 % des interventions se plaignent d'un fardeau indu pour l'industrie, qui serait contrainte de financer des labels sur-mesure ; 20 % remettent en cause des évidences scientifiques sur les risques de l'alcool sur la santé. Enfin, 7 % des déclarations plaident pour des stratégies alternatives qui ne leur coûteraient rien, comme des campagnes d'information.
Alors que le comité de l'OMC reconnaît que la santé publique est un objectif légitime des politiques publiques, « le forum est amené à privilégier les intérêts économiques sur les préoccupations sanitaires », lit-on.
Renforcer la voix de la santé
« Notre étude montre que ce comité de l'OMC est le porte-voix de l'industrie », résume l'auteure principale, Pepita Barlow du département de santé publique de la London School of Economics and Political Science. « Au moins, les membres de l'OMC doivent être transparents lorsqu'ils représentent les intérêts de l'industrie lors des réunions publiques. Et pour mieux contrebalancer l'influence du lobbying alcoolier, les autorités sanitaires des pays et de l'OMS doivent avoir l'opportunité de faire part de leur expertise en matière de santé », recommande-t-elle.
« Les gouvernements doivent s'entendre pour développer des réglementations contraignant les corporations et des règles claires pour éviter que les intérêts privés aient une influence dans les politiques publiques de lutte contre la consommation d'alcool », commente la Dr Maristela Monteiro de l'organisation panaméricaine de la santé.
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