Dr Andrea Ammon (ECDC) : « Il faut que l'Europe automatise la surveillance épidémiologique»

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Publié le 04/11/2022
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Le Conseil de l'Union européenne (UE) a adopté le 24 octobre deux règlements relatifs à l'Union pour la santé. En réponse à la pandémie de Covid, les nouvelles règles visent à donner un cadre légal puissant pour améliorer l'anticipation, la surveillance, l'évaluation du risque, les alertes précoces et la capacité de réponse. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) se voit doter d'un mandat élargi. Le point avec sa directrice Andrea Ammon, épidémiologiste allemande.

Andrea Ammon

LE QUOTIDIEN : Pourquoi était-il temps que le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC pour European Centre for Disease Prevention and Control) acquiert de nouvelles missions ?

Dr ANDREA AMMON : Le contenu de la proposition adoptée le 24 octobre est fondé sur les leçons apprises lors des huit premiers mois de la pandémie de Covid-19. Il est clair que sans la pandémie, ce texte n'aurait pas vu le jour. Nous n'étions pas préparés et nous ne disposions pas de groupes d'experts ni de réseaux de laboratoire pour assurer le suivi de l'épidémie. Outre le fait qu'il manquait des outils de surveillance, l'utilisation de ceux déjà disponibles demandait trop d'experts pour fonctionner.

C’est-à-dire ?

Dans chaque pays, dans chaque institution, il faut actuellement des professionnels de santé pour collecter les données, d'autres pour les enregistrer, les mettre dans un format compatible et nous les transmettre. Une des idées fortes de notre nouveau mandat est d'utiliser les nouvelles technologies et l'intelligence artificielle pour améliorer et automatiser la transmission des données.

Actuellement, beaucoup de pays européens sont en train de développer des dossiers médicaux informatisés. L’enjeu sera de savoir dans quelle mesure l'ECDC pourra en tirer parti pour améliorer la surveillance électronique à l'échelle du continent.

Concrètement, cela veut dire que chaque donnée de santé ne devra être collectée et transmise qu'une seule fois, ce qui nous permettra de décrire la situation épidémiologique. Les systèmes informatiques des différents pays devront aussi être en mesure de communiquer les uns avec les autres. Nous mettons au point des standards pour les protocoles des systèmes de reporting. Un projet pilote européen visant à expérimenter l'interopérabilité et la sécurité des systèmes de collecte de données est en cours.

Il y a également des problèmes légaux à résoudre. Certains pays ont déjà mis en place des systèmes de collecte de données informatisés pour la surveillance épidémiologique. Nous travaillons avec eux pour voir quels ont été les obstacles rencontrés pour avoir le droit d'exploiter ces données, afin que cette expérience bénéficie aux pays moins avancés. La Commission européenne est en train de préparer un texte de loi visant à aider, y compris financièrement, les pays à se mettre à niveau.

Le texte prévoit la mise en place d'un réseau de surveillance européenne « en temps réel ». Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?

Le but est de raccourcir au maximum les délais entre le diagnostic des premiers cas et la transmission à l'ECDC. Lors des précédentes épidémies, plusieurs pays ont eu du retard dans la transmission des cas confirmés, soit parce que l'agrégation des données est lente au niveau national, soit parce que les personnes chargées de nous transmettre les données étaient occupées à d'autres tâches.

On en revient donc au besoin d'automatisation dont je vous parlais plus tôt, mais pas seulement. Des nouveaux moyens de surveillance, comme la détection de pathogènes dans les eaux usées, peuvent aussi servir pour donner l'alerte plus précocement, y compris quand la population ne va pas se faire tester. Les eaux usées peuvent aussi servir à mesurer le niveau de l'antibiorésistance en Europe. La méthodologie doit encore être développée sur ce point.

En quoi consistent les task forces européennes sanitaires que l'ECDC pourra bientôt déployer ?

Il s'agit de groupes d'experts mis à la disposition des pays qui en auront besoin pour les aider à gérer une crise sanitaire, ou pour préparer des plans de riposte aux urgences de santé. Les bénéficiaires ne seront pas uniquement les pays de l'Union européenne (UE) qui en feront la demande, mais aussi tous les pays partenaires en dehors de l'Europe.

Ces groupes seront composés de membres de l'ECDC, d'experts issus des différents pays membres, et même de boursiers européens. Les organismes internationaux pourront aussi être sollicités pour fournir une expertise. Ce qui reste à définir avec les pays membres sont les modalités de mise en place du recrutement des experts et le traitement des demandes des pays membres via un secrétariat spécial consacré à ce dispositif. Notre première étape consistera à recenser tous les experts européens dans les différentes maladies infectieuses. Il faudra aussi s'assurer que les experts retenus soient en mesure de communiquer les uns avec les autres.

Et une fois sur place, quel type d'assistance les experts vont-ils apporter ?

Ils pourront mener des investigations sur les épidémies, leur origine, les modes de transmission, la vitesse de propagation. Ils regarderont quels sont les manques dans la réponse nationale à l'épidémie. À la suite de quoi, ils fourniront des recommandations que le pays hôte sera libre d'appliquer ou non.

Quand une task force sera mobilisée dans le cadre de la préparation aux épidémies futures, son rôle sera d'auditer les plans préparés par les autorités nationales et de donner des recommandations. De telles task forces comporteront aussi des spécialistes capables de mettre en place des simulations afin de tester le niveau de préparation des pays. Selon les demandes formulées par les pays membres, il est aussi envisageable que ces task forces aient des missions de formation.

Quels sont les moyens supplémentaires, financiers et humains qui seront mis à disposition de l'ECDC pour assurer toutes ces nouvelles tâches ?

Le texte prévoit que ce nouveau mandat s'accompagne de la création de 73 nouveaux postes, qui s'ajouteront aux 280 actuels. À partir de maintenant et jusqu'en 2027, nous recevrons entre 20 et 25 millions d'euros de financement supplémentaire chaque année, en plus des 60 millions actuels.

Historiquement, l'UE est une union économique. La santé ne faisait pas partie de ses attributions. Les mentalités ont-elles changé depuis l'épidémie de Covid-19 ?

La santé publique est tout de même inscrite dans le traité fondateur de l'UE depuis 1992 et le traité de Maastricht. Depuis le traité de Lisbonne, la santé entre dans la catégorie des compétences subsidiaires*.

Ces trois dernières années ont prouvé que la santé est à la base de tout. Tous les secteurs économiques ont été ébranlés par l’épidémie. Cela étant dit, d'autres sujets ont mis la santé en arrière-plan depuis quelques mois, et notamment la crise énergétique. Fondamentalement, la santé reste la prérogative des États membres et cela ne changera pas avec notre nouveau mandat.

Quelles sont les principales menaces infectieuses qui pèsent sur le continent pour les années à venir ?

Au début de l'année, nous avons commencé un « programme de prévoyance » chargé de pressentir la situation telle qu'elle sera dans 10 ans et les facteurs qui pourraient influencer l'émergence de telle ou telle catégorie de pathogènes. Le changement climatique, bien sûr, sera prédominant. Les maladies vectorielles comme la dengue ou le West Nile pourraient se répandre vers de nouveaux territoires, plus au nord. Tous les pays ne sont pas prêts. 

*Les compétences subsidiaires de l’UE sont des compétences qui ne sont pas explicitement ou implicitement inscrites dans les traités européens. Dans certains domaines, ce principe permet l’intervention de l’UE en cas de carence des États membres ou lorsque l’UE est mieux placée pour agir que les États membres..

Propos recueillis par Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin