Le monde n’était pas prêt à faire face à une pandémie et il ne l’est toujours pas, déplore le panel indépendant d’experts mandaté par l’Assemblée mondiale de la Santé* pour évaluer la réponse à la pandémie. Après 8 mois de travail et d’auditions menés avec des universitaires, les 11 experts internationaux et les 2 co-présidentes de ce panel jugent sévèrement la gestion de crise liée à l’épidémie de SARS-CoV-2, dans un rapport remis ce 12 mai et assorti de plusieurs documents d’analyse.
Le Panel a d’abord établi une chronologie des évènements, « résultat d’un important travail de recherche, de compilation de toutes les sources, publiées ou non, citées ou anonymes, qui a permis de reconstituer les premiers mois de l’épidémie », explique au « Quotidien » le Dr Michel Kazatchkine, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida et membre du Panel.
Un mois « perdu » en février 2020
Cette pandémie « catastrophique » est due à une « myriade d’échecs », les leçons du passé n’ayant pas été tirées, selon Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Liberia, co-récipiendaire du Nobel de la paix en 2011 et co-présidente du Panel, qui rappelle les nombreux rapports aux « recommandations judicieuses » qui « prennent la poussière sur les étagères ». « Notre analyse a montré que seulement 10 % des recommandations émises après Ebola par les différentes commissions avaient été mises en œuvre après la crise », abonde le Dr Kazatchkine.
Par ailleurs, « le Règlement sanitaire international n’a pas aidé l’OMS », déplore Helen Clark, ancienne première ministre de Nouvelle-Zélande et co-présidente du Panel. Le mois de février 2020 « a été perdu » par manque de réaction de la plupart des États à la déclaration d’urgence sanitaire internationale par l’OMS. Le Règlement, chargé de gérer les alertes et les communications entre les États et l’OMS dès lors qu’il y a une suspicion d’un foyer infectieux à potentiel pandémique, s’appuie sur des « procédures trop lourdes qui ont ralenti la circulation de l’information en janvier 2020 plutôt qu’elles ne l’ont facilité », relève le Dr Kazatchkine.
À l’exception de quelques pays asiatiques qui ont réagi précocement, la plupart des États n’ont entamé la riposte qu’après la tragédie italienne, négligeant de fait les alertes de l'OMS. Ce retard a été suivi par une ruée sur les équipements et les médicaments et, à certains endroits, par des attaques contre la science, une situation « aggravée par le manque de leadership mondial », poursuit Helen Clark. La crise est survenue dans un « climat géopolitique brisé par la tension entre la Chine et les États-Unis et par le retrait des États-Unis du jeu international, analyse le seul panéliste français. Les conditions d’une collaboration internationale et d’un système cohérent de réponse globale n’étaient pas réunies ».
Partage des vaccins et accords de licence
Après plus d’un an, la pandémie « continue de s’accélérer », malgré les outils disponibles et « l’engagement énorme » des soignants partout dans le monde, regrette Ellen Johnson Sirleaf. Le Panel émet ainsi deux séries de recommandations, une première pour mettre fin à la pandémie, une seconde, de plus long terme, pour réformer l’OMS et le système international.
À court terme, plus que des recommandations, « c’est un appel » qui est lancé aux États, selon le Dr Kazatchkine. Le Panel insiste ainsi sur la nécessité de mettre en place des mesures de santé publique (distanciation, masque, etc.), « à la hauteur de ce qu’exige la situation épidémique du pays, car c’est encore loin d’être le cas », estime le médecin.
Cet appel porte ensuite sur le partage des doses de vaccins contre le Covid-19. « Les pays riches ont acheté 4,3 milliards de doses de vaccins, soit suffisamment pour couvrir les besoins de leur population de 1,16 milliard d’habitants », souligne l’ancien directeur du Fonds de lutte contre le sida. Ces États sont ainsi enjoints à céder leur surplus de 2 milliards de doses aux pays à ressources limitées : un milliard de doses d’ici à septembre 2021 et deux milliards d’ici à mi 2022.
Le Panel souhaite aussi la mise en œuvre à court terme d'une négociation, sous l’égide de l’OMS et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), entre pays producteurs et firmes pour s’entendre sur une licence volontaire sur les vaccins et un transfert de technologies dans l’optique d’accroître les capacités de production dans toutes les régions du monde. « Si ces accords ne se font pas dans les trois mois, le Panel demande à l’OMC d’imposer une levée de la propriété intellectuelle », avertit le Dr Kazatchkine.
Donner du poids à l'OMS
À plus long terme, les experts plaident pour une refonte complète du dispositif international de réponse aux pandémies, via une nouvelle convention-cadre, soit un traité contraignant pour les États. Il s’agit d’abord de donner plus d’indépendance et d’autorité à l’OMS. Alors que les États et les fondations privées décident de l’utilisation des fonds qu’ils octroient à l’organisation, le Panel souhaite que les contributions ne soient plus fléchées. Les financements étatiques devraient également constituer au moins deux tiers du budget de l’OMS. « Le dernier tiers doit être acquis par une conférence de reconstitution comme il y en a pour le fonds mondial de lutte contre le sida, et impliquer des donateurs publics comme privés », précise le Dr Kazatchkine. Par ailleurs, pour éviter des prises de décisions influencées par la réélection, le mandat du directeur général de l’OMS devrait être non renouvelable et éventuellement porté à 7 ans, contre 5 actuellement.
L’indépendance de l’OMS doit également être renforcée par des moyens d’enquête et par la possibilité de publier en temps réel toutes les informations dont elle dispose sans demander l’autorisation des pays concernés. Des experts indépendants doivent pouvoir être mandatés pour aller investiguer les foyers infectieux, « comme cela se passe dans le cadre des urgences nucléaires », note le Dr Kazatchkine.
Pour atteindre cette ambition, le Règlement sanitaire international, jugé trop bureaucratique, doit être réformé. Et l’Assemblée mondiale de la Santé est invitée à créer un Conseil mondial de lutte contre les menaces sanitaires, « capable de maintenir l’engagement politique pour la préparation aux pandémies », détaille le Dr Kazatchkine, rappelant que le conseil d’administration de l’OMS ne s’est réuni qu’au mois d’octobre, une « aberration », selon lui.
Mobiliser 5 à 10 milliards de dollars par an pour la préparation aux pandémies
Ce Conseil sur les urgences sanitaires, dont la composition serait arrêtée par l’Assemblée générale des Nations Unies pour lui assurer un mandat et une légitimité politiques, aurait notamment pour mission de gérer les fonds d’un nouveau mécanisme international de financement. Cet outil de préparation aux crises serait alimenté par les États à hauteur de 5 à 10 milliards de dollars par an. En cas d’urgence, il doit être en mesure de « décaisser rapidement de 50 à 100 milliards de dollars pour lancer une réponse immédiate », indique le panéliste français, alors que la Banque mondiale, malgré un fonds dédié, a mis du temps à débloquer de l'argent.
Enfin, l’actuel Accélérateur ACT (ACT-A), dont dépend Covax, doit être transformé en une véritable plateforme mondiale pour la production des vaccins, des diagnostics et des traitements. Il est nécessaire « d’abandonner le modèle du marché » pour faire de ces produits des « biens publics mondiaux », estime Helen Clark.
*Organe de gouvernance de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation