Le passeport vaccinal pourrait-il être un futur sésame pour retrouver un peu de liberté ? Est-il une fausse bonne idée de la part de secteurs économiques ou culturels aux abois ou pourrait-il se révéler intéressant ?
La question est aujourd'hui prématurée, a d'abord répondu la France à la proposition initialement faite par la Grèce* d'un certificat « standardisé » de vaccination au sein de l'Europe, qui permettrait aux personnes vaccinées d'être « libres de voyager ». « Nous sommes très réticents. C'est un débat qui n'a pas lieu d'être et ce serait choquant, alors qu'on débute encore partout cette campagne de vaccination en Europe, qu'il y ait des droits plus importants pour certains que pour d'autres. (...) Quand l'accès au vaccin sera généralisé, ce sera un sujet différent », a déclaré le 17 janvier le secrétaire d'État chargé des Affaires européennes Clément Beaune.
La question divise les instances internationales. Alors que la Commission européenne y est favorable, les instances sanitaires de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) freinent des quatre fers. Son comité d'urgence spécial Covid-19, qui s'est réuni le 14 janvier sous la présidence du Pr Didier Houssin, a rejeté l'idée d'un tel dispositif « en raison des inconnues critiques qui existent quant à l'efficacité de la vaccination pour réduire la transmission, et la disponibilité limitée des vaccins ». Le 26 janvier, le Groupe stratégique consultatif d'experts (Sage) sur la vaccination persiste et signe : « dans la période actuelle où l'offre de vaccins est très limitée, la vaccination préférentielle des voyageurs internationaux irait à l'encontre du principe d'équité ».
En France, les instances scientifiques officielles, le Conseil scientifique, le Pr Alain Fischer et le ministre de la Santé Olivier Véran ont aussi repoussé le débat, en avançant ces deux arguments : l'un scientifique, rappelant qu'il existe trop d'inconnues sur la capacité des vaccins à réduire la transmission du virus, a fortiori alors que se développent des variants ; l'autre sociétal, soulignant que l'inégalité d'accès à la vaccination créerait une double peine pour les non-vaccinés.
Mais « il est probable que, très prochainement, des pays demandent un passeport pour entrer sur leur territoire, surtout ceux qui parviennent à vacciner rapidement leur population », comme c'est déjà le cas pour Israël (dont 30 % de la population a reçu une première dose le 27 janvier), analyse le Dr Paul-Henri Consigny, directeur du Centre médical de l'Institut Pasteur. L'OMS pourrait ensuite mettre la question au menu de son Assemblée mondiale de mai, si l'épidémie s'installe durablement, et si les conditions scientifiques, matérielles et sociales le permettent.
Anticiper les réflexions
« Ce n'est pas parce que la situation matérielle ne le permet pas que nous devons nous interdire de nous poser ces questions, considère le professeur d'éthique médicale Emmanuel Hirsch. Il faut au contraire anticiper la sortie de la crise ».
Réfléchir à un passeport vaccinal pourrait être un moyen, selon lui, de s'interroger sur le principe de réciprocité et de responsabilité, au cœur de notre démocratie. « Vivre en société implique une responsabilité, par rapport à soi et aux autres. Surtout dans un contexte sanitaire où la liberté ne peut être honorée sans conditions. Donc, si l'on déroge au contrat social, il faut assumer ses choix. Et accepter de n'avoir pas les mêmes avantages ». Et d'appeler à développer une « pédagogie de la responsabilité partagée », afin que les citoyens se situent face à ce sujet, qui se pose, avant même le passeport, à l'égard de la vaccination.
Contrôle liberticide ou surveillance épidémiologique
Ensuite, comme tout outil, un passeport vaccinal peut revêtir différents sens, du plus liberticide au plus libérateur. « Il peut être un instrument de surveillance et de contrôle, privatif de toute liberté. Mais un document portant la mention de toutes nos vaccinations pourrait aussi être un outil de sensibilisation à la vaccination », suggère le Pr Hervé Chneiweiss, président du Comité d'éthique de l'Inserm. « Trop souvent l'on considère que les vaccinations se limitent à l'enfance. Or, certains rappels sont nécessaires. Rares sont ceux qui savent par exemple que le rappel contre la varicelle peut protéger du zona », précise-t-il.
« Avant de décider toute mesure potentiellement contraignante, il faut en évaluer les conséquences, préconise la Dr Anne-Marie Moulin, médecin, philosophe et historienne. Nous devons nous interroger sur les causes que servira un passeport sanitaire : comment peut-il profiter à la santé publique, avec quelles conséquences sur la mobilité des populations ? ».
C'est d'ailleurs ce que promeut Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé : « il s’agit là d’un outil de santé utile d’un point de vue médical, si l’on veut suivre les effets secondaires des vaccins, par exemple », a-t-elle déclaré.
La mise en place d'un passeport sanitaire ne manquera pas de soulever la problématique des données de santé : qui les recueillera ? Comment seront-elles anonymisées ? Comment harmoniser les systèmes au niveau international et garantir le respect de la législation européenne sur la protection des données ?
Alors que des applications numériques commencent à fleurir, les 27 États membres, à la demande de la Commission européenne et en partenariat avec l'OMS, viennent d'adopter des lignes directrices pour les certificats de vaccination sur support papier ou numérique, pour les uniformiser et garantir leur authenticité et inter-
opérabilité. « Un carnet de vaccination numérique, valide au plan international, serait une bonne idée. Beaucoup de personnes perdent leur carnet jaune… », commente le Dr Consigny.
Démocratie sanitaire
Enfin se pose la question du rapport à l'obligation. « Je ne rendrai pas la vaccination obligatoire », avait déclaré le président Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 24 novembre. Mais conditionner l'accès de certains lieux (et lesquels ?) à un passeport vaccinal ne revient-il pas à introduire subrepticement une obligation ? C'est en tout cas ce contre quoi met en garde le Conseil d'État dans un avis de décembre 2020 : « sans être par elle-même assimilable à une obligation de soins, une telle mesure peut avoir des effets équivalents ».
La mise en place d'un passeport supposerait que la démocratie sanitaire s'empare de ces questions. Plus de 60 % des Français se déclaraient favorables à une obligation vaccinale pour prendre l'avion ou pour rendre visite à un proche vulnérable dans un Ehpad ou à l'hôpital, selon un sondage Ifop réalisé les 11 et 12 janvier derniers.
*La Grèce, l'Espagne, Malte et le Portugal y seraient favorables, tandis que le Danemark et la Pologne auraient déjà commencé à délivrer des passeports. Hors Union européenne, en Israël, un passeport vert, valable pendant trois jours après un test PCR négatif et six mois après une vaccination complète, pourrait ouvrir les portes des évènements sportifs et culturels, des salles de sport et piscine, des hôtels et restaurants.
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