L'intelligence artificielle (IA) va-t-elle bouleverser la relation entre médecin et patient ? Dans un rapport paru le 7 juin, le Comité directeur pour les droits de l'homme dans les domaines de la biomédecine et de la santé (CDBIO) du Conseil de l’Europe s'est penché sur la question.
Mise en place dès 1997 par le Conseil de l’Europe, la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, aborde le consentement, l’information et le respect de la confidentialité des patients, dans la recherche comme lors des traitements. Autant d’aspects que le développement de l’IA pourrait un jour remettre en cause. Composé d’experts, notamment de médecins et juristes, issus des 46 États membres de l’Organisation, le CDBIO a demandé à un chercheur en éthique de l’Université d’Oxford, Brent Mittelstadt, de préparer un rapport sur l’impact de l’IA sur les relations entre les médecins et les patients.
Selon lui, l’IA a déjà des conséquences concrètes sur une part croissante de la pratique médicale dont, paradoxalement, un possible renforcement des inégalités. « Les consultations à distance, y compris avec l’aide d’algorithmes, peuvent rapprocher les patients isolés des spécialistes les plus pointus, mais, dans un premier temps au moins, la diffusion limitée de ces techniques aggravera le fossé entre les patients susceptibles d’en bénéficier et les autres », estime l'éthicien.
En outre, rappelle-t-il, tout algorithme en santé, que ce soit en recherche, en santé publique ou pour l’aide au diagnostic, est « biaisé » par la pensée même de ses développeurs, ce qui peut finalement peser sur les décisions suggérées. Un risque déjà mis en avant par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui rappelle qu’il ne saurait y avoir d’algorithme médical unique au niveau planétaire, tant les différences notamment économiques restent fortes entre les pays du monde. Alors que la Convention d’Oviedo veille à la compatibilité entre les réglementations médicales et bioéthiques et les normes de protection des droits de l’homme, il importe de veiller à l’élaboration d’algorithmes respectueux de ces droits.
Origine de l'IA
Les problèmes posés par la collecte des données et le consentement, mais aussi la question des responsabilités et de la dilution de la relation traditionnelle entre le médecin et son patient constituent les autres grands enjeux éthiques de l’IA en santé. « Si un médecin prend une décision avec l’aide de l’IA, quelle sera la responsabilité de cette dernière, et le patient ne doit-il pas savoir comment et par qui la décision issue de l’IA a elle-même été conçue ? », se demande Brent Mittelstadt.
« Les analyses très complexes de l’IA sur des données d’une ampleur et d’une diversité sans précédent pourraient certes modifier la relation médecin-patient dans des proportions jamais atteintes auparavant, mais ne constituent pas nécessairement un obstacle insurmontable à une bonne relation entre le médecin et son patient », poursuit-il, estimant que tout dépendra de la manière dont l'IA est utilisée, comme outil complémentaire et non comme remplacement des professionnels compétents.
Mieux encadrer ces techniques
Dans tous les cas, conclut l’auteur du rapport, « l’impact de l’IA sur la relation médecin-patient reste très incertain et il est peu probable que nous assistions dans les cinq prochaines années à une reconfiguration radicale des soins, c’est-à-dire à un remplacement de l’expertise humaine par l’IA ». Il table néanmoins sur une banalisation de la télémédecine, même si le diagnostic et le traitement restent l’apanage des professionnels humains. De plus, ajoute-t-il, il faudrait encore passer pour cela l’épreuve de l’efficacité clinique, ce qui reste un obstacle considérable à la commercialisation et à l’adoption généralisée de ces systèmes.
Il n’en est pas moins temps de commencer à réfléchir sérieusement à toutes ces perspectives : le CDBIO annonce qu’il examinera en 2023 de nouvelles réflexions et recommandations sur l’IA dans les soins de santé, lesquelles pourront aussi stimuler les États européens pour mieux encadrer ces nouvelles techniques au sein de leur propre organisation sanitaire.
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