LE QUOTIDIEN : D’où vient, d’après vous, la résistance vaccinale ?
JOËLLE BASQUE : Avec la pandémie, les populations traversent le sentiment d’une perte de contrôle historique. Pour certains, « résister » est une façon de reprendre la maîtrise sur leur corps et sur leur vie. Chez les jeunes mères, refuser de faire vacciner leurs enfants peut être une façon de se redonner un rôle dans la santé de leur progéniture.
À côté des anxieux, ainsi que ceux qui ont peur des effets à long terme par exemple, une bonne part de ceux qui refusent l’injection pensent résister ensemble à un système qu'ils pensent ne pas leur vouloir du bien. Les antivax sont gouvernés par la pensée de groupe : c’est une force qui amène les membres d'un collectif à rechercher à tout prix le consensus au nom du bien commun. Entre eux, ils sont incapables de pensée discordante.
Cela se joue beaucoup sur la toile, où une multitude de sources confortent leurs positions. Les antivax se disent : « Nous sommes allés chercher l’information, nous sommes plus futés que ces moutons. Nous résistons à Big Pharma. »
Aux États-Unis, certains se sont spécialisés dans la collecte d’« histoires » de vaccin qui finissent mal. Plus on en trouve en ligne, plus les gens vont se conforter dans leur défiance. Par exemple, il y a bien au moins une personne qui a développé un Creutzfeldt-Jakob après une injection, c’est forcé. Il n’y a pourtant aucun lien entre les deux, autre que chronologique.
Cela dévoile-t-il un échec dans l’éducation médicale ?
En effet. Nous manquons d’une information abordable sur la façon dont les médicaments sont élaborés. Pour combler ce manque de culture médicale, certains vont écouter ceux qui proposent des discours facilement compréhensibles. Si les informations résonnent avec leur vision du monde, ils vont décider d’y croire.
Tout un chacun se croit à penser qu’il est « rationnel » et « objectif ». Alors que nous sommes émotionnels et avons tous tendance à adhérer à des histoires qui nous paraissent séduisantes, plausibles et en accord avec nos valeurs.
Comment convaincre les récalcitrants de se faire vacciner ?
D’abord, il faut se projeter dans l’autre. Pour un expert en santé, les chiffres ont valeur d’évidence. Mais les scientifiques doivent sans cesse avoir à l’esprit que pour ceux qui n’ont pas suivi leur formation, les chiffres ne sont pas aussi parlants.
Le médecin d’une mère dont l’enfant a été diagnostiqué autiste après une injection a eu la présence d’esprit de ne pas remettre en question son histoire. Il lui a même dit, dans un premier temps, qu’il comprenait qu’elle ait pensé à ce lien.
Les récits concrets fonctionnent souvent bien mieux qu’un chiffre ou un pur discours médical désincarné. Au cas par cas, un praticien peut, face à un patient, pratiquer de l’écoute active afin de comprendre les vrais ressorts de son hésitation. Cela n’est pas toujours la défiance face aux institutions. Ce peut être la peur des effets secondaires immédiats par exemple.
Ensuite, au lieu d’expliquer les bienfaits du vaccin, il peut dire lui dire « Je comprends, vous n’êtes pas seul dans ce cas », et lui raconter une histoire susceptible de lui parler : « L’autre jour, une patiente avait des crises de panique avant la piqûre, pour les mêmes raisons que vous. Une fois surmontée sa peur, elle a réalisé que les effets secondaires - une petite fièvre - ne duraient pas. Elle était soulagée de l’avoir fait et heureuse de retrouver une vie avec moins de contraintes. »
Et quand la motivation des antivax est plus profonde, liée à des croyances conspirationnistes ?
En premier lieu, ne jamais confronter les gens dans leur identité et leurs croyances. Cela fait toujours l’effet inverse de celui escompté. Il est préférable de les rejoindre dans leur expérience de vie.
Face à quelqu’un qui croit que le vaccin inocule la 5G, j’écouterais son discours. J’explorerais avec lui l’ensemble de son raisonnement, en lui demandant « qui » cherche à le contrôler d’après lui et pour quelles raisons précises. Marcher par interrogations permet d’amener son interlocuteur à trouver lui-même la faille éventuelle de son raisonnement.
Encore une fois, il ne faut surtout pas chercher à convaincre : antivax ou pas, on se pense généralement plus futé que la moyenne. Cela s’appelle le biais d’autocomplaisance. Tout le monde est concerné, du moins dans les sociétés occidentales. Aussi, si quelqu’un vient à changer d’avis, c’est uniquement parce qu’il aura eu l’impression que ce revirement vient de lui-même. Conforter son interlocuteur dans l’idée qu’il est intelligent est la meilleure façon d’obtenir son écoute.
Dans une deuxième étape, je lui dirai pourquoi personnellement, je me suis fait vacciner. La liberté que cela m’a apportée. On peut penser cela inutile face à une telle méfiance. Pourtant, cela porte parfois ses fruits. C’est ce qui s’est passé avec ma thérapeute. Elle ne voulait pas se faire vacciner ; sans adhérer aux complots les plus fous, elle était tout de même dans une certaine défiance politique. Sans guère de conviction, je lui ai raconté que je me suis fait vacciner, et les raisons pour lesquelles j’étais heureuse de l’avoir fait. Je lui ai aussi offert un raisonnement dans lequel elle reprend le contrôle : « Ça te permettra d’aller voir ta famille en France ». Quelques jours plus tard, elle me disait : « Tu m’as convaincue, j’ai pris mon rendez-vous. »
Les médecins n’ont pas toujours le temps, hélas. Il faut donc former des équipes à l’écoute, à l’accueil et à la capacité à raconter des histoires auxquelles les gens peuvent s’identifier. C’est ce qu’on a fait au Canada. Ils ouvrent un dialogue sur la vaccination. Succès démontré !
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