La Cour européenne de justice vient de rendre une décision qui devrait relancer le débat sur l’exclusion des homosexuels du don de sang en France. Selon la Cour, la réglementation française a un caractère discriminatoire. En 2009, après un refus de l’Établissement français du sang (EFS) au motif qu’il avait déclaré être homosexuel, Geoffroy Léger avait porté plainte contre le ministère de la Santé et l’EFS.
Le tribunal administratif de Strasbourg qui avait été saisi s’est alors adressé en octobre 2013 à la Cour de justice afin de demander si une telle exclusion permanente était « compatible » avec le droit de l’UE notamment de l’annexe III de la directive [2004/33] qui fixe les critères d’amissibilité au don. La Cour devait répondre à la question suivante : « La circonstance pour un homme d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme constitue-t-elle, en soi, un comportement sexuel exposant au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang et justifiant une exclusion permanente [du] don du sang pour les sujets ayant eu ce comportement sexuel ? »
Une exclusion discriminatoire
Selon le procureur général de la Cour Me Paolo Mengozzi,le fait pour un homme d’avoir eu ou d’avoir actuellement des rapports sexuels avec un homme « n’est pas, en soi et à elle seule, constitutive d’un comportement sexuel exposant au risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang ». En clair, l’homosexualité ne peut justifier une exclusion permanente.
Dans ses observations écrites adressées à la Cour, le gouvernement français considère que sa réglementation vise à la protection des receveurs et rappelle que la proportion d’individus vivant avec le VIH dans la population HSH est 65 fois plus élevée que dans le reste de la population. De plus sur les 6 940 nouvelles infections recensées en 2008, 3 320 appartenaient à la population homosexuelle. « Compte tenu de la fenêtre silencieuse pendant laquelle les virus VIH 1 et VIH 2 ne peuvent être détectés lors des tests de dépistage – respectivement 12 et 22 jours – une telle situation serait particulièrement problématique pour les dons du sang », soulignent les autorités françaises qui estiment que « l’application d’une exclusion seulement temporaire ne serait pas possible » car le risque ne l’est pas. « La moitié des dons infectés par le VIH provient de la population HSH, laquelle aurait de plus en plus tendance à donner son sang, malgré la contre-indication permanente », précisent-elles.
Dans ses remarques, Me Paolo Mengozzi estime que le critère retenu par la France est formulé « d’une manière trop large et trop générique ». Elle note encore que cette réglementation « introduit une évidente discrimination indirecte fondée, de manière combinée, sur le sexe (les hommes) et sur l’orientation sexuelle (l’homosexualité et la bisexualité) ».
Mise en quarantaine des dons
Me Mengozzi souligne cependant que la France, comme les États membres, ont une marge d’interprétation dans le domaine de la protection de la santé publique. L’avocat général reconnaît que l’exclusion permanente « tend effectivement à la réalisation de l’objectif légitime poursuivi » et que la France est donc en droit de décider du niveau auquel il entend assurer la protection de la santé publique.
Le fait que l’Espagne, l’Italie, la Slovaquie, la Finlande et le Royaume-Uni n’excluent ni systématiquement ni définitivement la population HSH du don du sang ne peut constituer un argument puisque le niveau de risque peut être différent d’un État à l’autre.
S’agissant de la fenêtre sérologique, l’avocat souligne qu’une mise en quarantaine des dons pourrait être une solution. « Je relève que le gouvernement français a indiqué que la période la plus longue... est estimée à 22 jours. Or, sauf erreur de ma part, le délai maximal de conservation du sang est de 45 jours environ. La mise en quarantaine systématique des dons émanant de la population HSH pendant une telle période avant qu’ils soient testés pourrait être objectivement une solution permettant de réaliser au mieux l’objectif poursuivi », indique-t-elle. La juridiction française devrait « s’interroger sur le fait de savoir si une telle quarantaine serait économiquement tolérable et scientifiquement réalisable pour tout ou partie des composants sanguins », ajoute-t-elle en s’appuyant sur le rapport du député Olivier Véran remis à Marisol Touraine en 2013 selon lequel « la mise en quarantaine systématique du plasma, associée au dépistage virologique, permettrait de neutraliser tout risque de transmission virale ».
Quelques incohérences
L’avocat général souligne encore « l’incohérence de la réglementation française », qui ne prévoit « pas de contre-indication spécifique visant une femme dont le partenaire aurait eu ou aurait des rapports sexuels avec d’autres hommes ». Par ailleurs, une personne dont le partenaire est séropositif « ne fait l’objet que d’une contre-indication temporaire de quatre mois, alors que, dans un tel cas, l’exposition au risque est réelle ». Toujours selon M. Mengozzi, la juridiction française devra aussi vérifier s’il n’est pas possible de « remanier le questionnaire destiné à évaluer les candidats au don du sang de manière à permettre au personnel médical d’identifier, au cours d’un entretien individuel, si les candidats ont un comportement sexuel dit "à risque" ».
Olivier Véran juge essentiel la modification du questionnaire
En France, plusieurs associations se sont déjà élevées contre la politique du don soutenue en cela par le Défenseur des Droits. Marisol Touraine, après s’être exprimée en faveur d’une levée de l’interdiction, a réaffirmé en décembre 2012 l’exclusion des homosexuels. « Je me suis déjà exprimée sur le sujet en disant que je ne trouvais pas normal qu’il y ait de discrimination. Pour autant, je ne peux lever l’interdiction qui existe que si on me donne une garantie absolue que cela n’apportera pas davantage de risques pour ceux qui seront transfusés », avait-elle alors déclaré.
Le député socialiste, Olivier Véran, auteur du rapport remis à Marisol Touraine se réjouit des conclusions du procureur général qui doivent encore être confirmées par la Cour de justice. Lui préfère mettre l’accent sur la modification du questionnaire. « Il ne s’agit pas de diminuer la sécurité sanitaire, mais au contraire de la renforcer en réformant le questionnaire. Il ne faut pas s’arrêter à la question de l’orientation sexuelle mais se pencher sur les pratiques à risques, qui ne recouvrent pas toujours le cas des hommes ayant des rapports avec d’autres hommes », explique-t-il au « Quotidien ».
Quant aux modalités pratiques d’une mise en quarantaine des dons, il renvoie la question aux scientifiques et aux autorités compétentes. « Il faudrait instaurer une mission sur ces sujets économiques et sanitaires. Faut-il appliquer une mesure de quarantaine à tous les dons, ou à ceux issus de personnes aux pratiques à risques, je n’en sais rien », conclut-il.
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