À quel horizon pouvons-nous espérer la fin du Covid ? « Nous sommes dans une course entre les mutations et la vaccination », estimait en janvier* le président du Conseil scientifique, le Pr Jean-François Delfraissy, à propos de la situation à un an du début de la pandémie.
Bien difficile d'avancer des prédictions. La propagation des nouvelles mutations nous inscrirait dans « le scénario d’un jour sans fin », où le virus continuerait à nous surprendre et à se jouer de nos stratégies. À l'inverse, les vaccins pourraient permettre d’exercer « une pression immunologique suffisamment forte pour bloquer » le virus. L’immunologiste résume ainsi les tensions à l'œuvre : « si vous avez une réaction immunologique très forte avec un vaccin puissant, et une majorité de la population vaccinée, le vaccin domine. Si vous avez un vaccin avec une efficacité faible et une faible partie de la population vaccinée, les mutations du virus peuvent dépasser l’effet du vaccin ».
Le risque d'un échappement aux vaccins
Pour l’heure, le scénario d’une vaccination massive et rapide provoquant une forte immunité de la population mondiale semble lointain. Le virus et ses variants circulent activement. Et une partie de la population mondiale peine à avoir accès aux vaccins malgré la mise en place d’un mécanisme de partage des doses de vaccins – Covax – par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dès les premiers mois de la pandémie. Quant à l’efficacité des vaccins face aux nouveaux variants, elle reste incertaine.
Ce contexte fait craindre une pression de sélection exercée par les vaccins et l’émergence de souches résistantes à l’immunité acquise. « Moins l’épidémie est contrôlée de manière globale, plus il y a de chances d’un débordement à court terme et de voir, à long terme, émerger des mutations contrecarrant les solutions mises en place passivement, via l’immunité collective [N.D.L.R. estimée fin 2020 en France autour de 10 %], et activement, via la vaccination », explique Mircea Sofonea, épidémiologiste à l’université de Montpellier.
En un an de circulation virale, les vaccins sont là, mais déjà mis à l’épreuve. « Et contenir l’épidémie en Europe ne réduirait pas le risque de réservoirs épidémiques ailleurs et d’importation de nouveaux variants pouvant donner lieu à de nouvelles flambées », rappelle Mircea Sofonea.
Selon l’épidémiologiste, la formulation répétée de nouveaux vaccins sera nécessaire pour faire face à ces nouveaux variants. À ce titre, la technologie à ARNm devrait permettre une adaptation rapide, scientifiques et industriels travaillant déjà à une réponse aux variants actuels. Dans l’optique d’une épidémie saisonnière, la circulation de nouvelles souches obligerait, comme pour la grippe, à l’élaboration régulière de vaccins adaptés. « Dans tous les cas, le vaccin ne sera utile dans la lutte contre le SARS-CoV-2 qu’au même titre que les gestes barrières et la surveillance mondiale », juge Mircea Sofonea.
Un panel de mesures selon l'objectif poursuivi
En attendant les effets de la vaccination, les États doivent se contenter de stratégies de contrôle de l’épidémie : des plus strictes, visant l’éradication du virus, aux plus souples, visant à « vivre avec le virus » en évitant la saturation des systèmes de soins. Chaque pays pioche ainsi dans un panel de mesures (traçage, dépistage, isolement, fermeture des frontières, des établissements scolaires ou universitaires, des bars et restaurants, des lieux culturels, sportifs, de travail, restriction des déplacements et rassemblements, couvre-feu, confinement, etc.), selon l’objectif poursuivi.
« Si la stratégie est d’éliminer la circulation du virus, la vaccination et le contrôle de la propagation par une réduction des inter-actions doivent s’appliquer à un niveau global, cadre Pascal Crépey, épidémiologiste à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Et si l’option est de vivre avec le virus, le risque est que chaque année apparaisse un nouveau variant obligeant au développement d’un nouveau vaccin pour protéger les plus fragiles ».
La France mise pour l’instant sur la seconde option et a adopté des mesures intermédiaires comme le couvre-feu à 18 heures pour empêcher la saturation des hôpitaux, en parallèle d’une vaccination des plus vulnérables. À l’instar de celle du Pr Bruno Riou, directeur médical de crise de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, des voix s’élèvent depuis janvier pour demander la mise en place d’un confinement préventif destiné notamment à retarder la progression du variant britannique.
D’autres plaident pour une stratégie « zéro Covid », selon laquelle l’instauration de mesures fortes pour réduire le nombre de cas à zéro doit permettre la création de « zones vertes » sans virus où une « vie normale » pourrait reprendre. Cette approche implique un effort aussi intense qu'au printemps dernier et un système de traçage et de dépistage capable de contrôler rapidement les résurgences épidémiques. Mais aujourd'hui, l'objectif n'est pas d'éliminer le virus, mais « de maintenir un R inférieur à 1 », rappelle Samuel Alizon, directeur de recherche au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs (CNRS).
Des incertitudes persistantes
Selon le chercheur, les projections possibles sont limitées par la persistance d’incertitudes sur la durée de l’immunité et l’effet des vaccins sur la transmission. « Si la vaccination ne bloque pas la transmission, nous continuerons à avoir des cas et à risquer l’engorgement des hôpitaux », souligne-t-il.
Le rôle du climat et de la saisonnalité sur la circulation virale compte également parmi les incertitudes. « En début d’épidémie, les clusters apparus dans des abattoirs ont laissé penser que le climat jouait un rôle, mais c’est improuvable », estime Jean-Stéphane Dhersin, directeur scientifique adjoint à l’Institut national des sciences mathématiques et leurs interactions (CNRS), qui coordonne la plateforme de modélisateurs de toutes disciplines ModCov19. Selon lui, « nous ne sommes pas encore en mesure, par exemple, de déterminer si le plateau observé est dû aux températures ou à un relâchement dans l’application des mesures barrières ».
Plusieurs éléments rendent ainsi complexe l’exercice de prédiction. Le plus important reste sans doute l’acceptabilité des mesures mises en place et leurs conséquences sur la santé mentale, la vie sociale, culturelle et économique, etc. Rappelant que l’instauration d’une même mesure peut donner des résultats différents dans le temps et l’espace, Jean-Stéphane Dhersin estime qu’« un des paramètres le plus difficile à maîtriser est peut-être les comportements individuels ».
* Lors des « contrepoints de la santé », le 19 janvier.
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