Apprentissages scolaires

La hantise du dépistage refait surface

Publié le 18/10/2011
Article réservé aux abonnés
1318900364290127_IMG_69447_HR.jpg

1318900364290127_IMG_69447_HR.jpg
Crédit photo : S. TOUBON/LE QUOTIDIEN

« IL N’EST PAS question de classer les élèves en maternelle », a souligné le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel. « Simplement, oui, nous sommes engagés dans un travail de longue haleine de lutte contre l’échec scolaire. Il est donc important de repérer les élèves en difficulté dès le plus jeune âge et nous allons proposer à nos enseignants des outils supplémentaires de repérage de ces élèves », a-t-il reconnu en ajoutant qu’aucune décision finale n’avait été encore prise.

Le document diffusé dans la presse, qui fait actuellement l’objet de « discussions internes au sein du ministère », devrait être proposé aux inspecteurs d’académie puis aux enseignants d’ici la fin de l’année, a ajouté le ministre. Cet « outil de repérage » supplémentaire, conçu avec des chercheurs, précise le directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Michel Blanquer, ne sera pas obligatoire. Il s’adressera aux élèves de grande section maternelle (de 5-6 ans). L’évaluation se déroulera en trois temps. Entre novembre et décembre, les enseignants auront la possibilité d’évaluer les élèves sur « le comportement à l’école, le langage, la motricité et la conscience phonologique ». En fonction des résultats, ils choisiront de les classer selon trois catégories : « RAS » (rien à signaler), « risque » et « haut risque ». Dans un second temps, les enfants en difficulté pourront bénéficier d’« un entraînement progressif » conduit par les enseignants. Enfin, entre mai et juin, une évaluation sera proposée, à partir de « trois séries d’épreuves collectives ou en petit groupe (.....) et deux séries d’épreuves individuelles » pour faire le point sur « la compréhension de consignes », « la maîtrise du vocabulaire », « la qualité de la production orale », « la connaissance des nombres », et le respect des « règles de vie commune ».

Du côté des syndicats d’enseignants, le projet est largement critiqué. « On marche sur la tête avec une "évaluationnite" qui prend de plus en plus de temps au détriment des apprentissages qui nécessitent de la progressivité, de la professionnalité », argumente le Sébastien Sihr du SNUipp-FSU. « Les enseignant(e)s de maternelle savent très bien identifier, dans le cadre habituel des activités en classe, les enfants qui ont besoin d’accompagnement particulier. C’est leur métier. Ils n’ont nul besoin d’un dispositif inadapté et pernicieux », renchérit le syndicat SE-Unsa. S’agissant des fédérations de parents d’élèves, la FCPE estime qu’« on colle une étiquette extrêmement anxiogène sur des enfants » tandis que la PEEP regrette le côté inachevé du projet et émet des réserves « quant aux termes inappropriés utilisés pour qualifier les catégories auxquelles les enfants sont rattachés ».

Une bonne idée.

Contrairement à bon nombre de ses confrères entendus dans les médias, Antoine Guedeney, chef du service en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris), qualifie le projet d’« excellente idée », même s’il juge le mot « préoccupation » plus adapté que celui de risque. « On aurait pu parler de force et de vulnérabilité. » Mais l’école est un lieu « où les gens savent ce qu’ils disent ». « C’est une bonne idée, surtout si les exercices proposés aux élèves ne sont pas seulement scolaires et portent sur le langage, le comportement, l’expression émotionnelle », explique au « Quotidien » celui qui fut au cœur de la polémique de 2005, lors de la sortie du rapport de l’INSERM sur le « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent ». Le praticien, qui regrette le déni de la société française face à la reconnaissance précoce des troubles du comportement, estime que l’école reste un lieu de prévention important (« le Quotidien » du 29 septembre). « Je reste cohérent avec ce que j’ai dit », insiste-t-il aujourd’hui.

Très circonspect face au projet ministériel, Marcel Rufo, pédopsychiatre à l’hôpital Salvator de Marseille constate toutefois que « les enseignants repèrent déjà les élèves fragiles ». « Mais il faut les aider en leur donnant des moyens : c’est presqu’utopique, mais j’aimerais que le tiers de la formation des professeurs des écoles porte sur le développement psychologique, cognitif, relationnel et affectif de l’enfant pour leur permettre de faire un repérage qui ne soit pas standardisé. Ce qui me gêne, c’est la démarche épidémiologique, scientifique », confie-t-il.

STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9027