TINTIN est de ces héros qui ne se laissent pas épuiser par une unique interprétation, aussi brillante fût-elle. On se souvient des travaux de Serge Tisseron qui, l’analysant dans le « secret de la licorne » comme un garçon né de père inconnu mais illustre, a percé le secret de famille de Georges Prosper Rémi. Gérard Guasch, dans « Tintin sur le divan », s’éloigne du dessinateur, pour s’intéresser uniquement à la créature à laquelle il donne vie. « Le voici prêt pour une "autre" psychanalyse, écrit-il dans son premier chapitre. Une analyse dans laquelle nous nous centrerons sur le personnage lui-même et non sur son auteur, analysant son caractère et sa personnalité comme s’il était un sujet en chair et en os ». « C’est un tel héros qu’il mérite d’être tourné et retourné sur les grilles pour en comprendre l’esprit », explique au « Quotidien », avec humour, celui qui n’en est pas à son coup d’essai : le médecin a en effet déjà commis en 1998 « Arsène Lupin, un caractère sur le divan ».
Soucieux de ne pas se « limiter aux analyses au ras du symbole », Gérard Guasch explore avec une réelle liberté de pensée plusieurs pistes d’interprétation et clefs de lecture. « Wilhelm Reich m’a beaucoup inspiré car il met le corps sur le divan, s’intéresse au ton de la voix, à la posture, à l’énergie », explique-t-il. Il convoque également certains éléments du taoïsme et les théories du Yin et du Yang, « une recherche d’équilibre qui a à voir avec l’équilibre nerveux végétatif ».
C’est ainsi un étonnant portrait de Tintin qui se dégage à la faveur de ces nouvelles lumières. On le découvre « phosphorique » dans « L’île Noire » : relevant l’inscription « phosphorus » dessinée sur un flacon posé sur sa table de chevet, Gérard Guasch allie psychanalyse et homéopathie pour faire du reporter un « porteur de lumière ». L’analyste le définit également comme sthénique. « Pas de vrai découragement chez Tintin, encore moins de dépression. De l’énergie, toujours de l’énergie, une énergie fluide, fluctuante, renouvelable, renouvelée », écrit-il. Convoquant la médecine taoïste, Gérard Guasch identifie en outre, à partir d’un dessin dans un temple du Lotus Bleu, Tintin comme un shao yang, un jeune yang, terme traditionnellement appliqué à des voyageurs actifs et imaginatifs.
La maturité de l’intemporel Tintin.
Gérard Guasch ne se contente pas d’un portrait statique, mais, suivant fidèlement l’ordre chronologique de parution des albums, il donne à voir son enrichissement psychologique. « Dans « Tintin au pays des Soviets », que Hergé n’avait pas inclu dans la série, Tintin est un nabot avec une casquette, capable de toutes les prouesses, puis, au Congo et en Amérique, il devient un jeune globe-trotter qui tue tous les bandits », nous explique-t-il. Les premiers traits de caractère se dessinent : Tintin regarde la réalité, c’est un visuel qui voit « au-delà des décors, démasque les complots et ne s’en laisse pas compter », écrit l’analyste. Il est déjà un « objet idéalisé propre à nourrir l’idéal du moi, qui est le lieu privilégié des fantasmes héroïques ». Il est également un chevalier blanc, « être de lumière qui incarne le bien ». Enfin, Gérard Guasch pointe la relation affective mère-enfant qu’il commence à entretenir avec Milou, lorsque dans « Tintin en Amérique », il est inquiet de la disparition du fidèle compagnon.
« Le Lotus bleu » marque une première évolution, affirme l’essayiste, avec la rencontre de l’humain, l’ami Tchang que Tintin pleure lorsqu’il doit le quitter après l’avoir confié à la famille Wang. Gérard Guasch voit là un thème dont il fait l’un des fils conducteur de son analyse : Tintin raccommode les parentés, un « art qui lui vient sans doute de ses propres nécessités affectives d’enfant sans famille ». Selon lui, Tintin est un « enfant à l’eau », image que l’on découvre dans « les Cigares du Pharaon », lorsque le héros se rêve en bébé emmailloté tel un Moïse jeté dans les eaux du Nil. « De quoi nous parlent ces représentations ? De l’histoire personnelle de Tintin, enfant abandonné, du danger d’être englouti et détruit par la mer (mère) ? » s’interroge Gérard Guasch, qui s’appuie sur la théorie du rêve de Sandor Ferenczi, comme une tentative de résolution des conflits (et non, comme Freud, une réalisation d’un désir inconscient).
4 albums plus loin, dans lesquels Tintin se montre bien élevé, respectueux, juste, sensible, et tonique, « Le crabe aux pinces d’or » signe un nouveau tournant, avec la rencontre du capitaine Haddock. Si Milou est un frère jumeau, Haddock lui, semble combler un manque paternel et apparaît comme le miroir inversé du reporter. « Le couple Tintin Milou s’est enrichi et est devenu un triangle », souligne Gérard Guasch. Le tableau de famille se complète dans « Le secret de la licorne » avec l’apparition du Pr Triphon Tournesol, père rationnel, par distinction d’avec le père pulsionnel qu’est Haddock.
La figure maternelle ne disparaît pas pour autant. Elle revient avec force dans « L’étoile mystérieuse » lorsque Tintin voit une araignée géante se détacher sur le fond d’un astéroïde (en réalité, elle se balade sur l’objectif du télescope). Selon Gérard Guasch, qui se réfère ici à Freud, « l’araignée représente souvent la mère, une mère méchante que l’enfant redoute confusément (...). La source de la souffrance psychique de Tintin ne serait-elle pas en liaison avec la figure maternelle dont un rêve précédent (Cigares) nous fait penser qu’elle l’a abandonné ? » Gérard Guasch répond par l’affirmative, et de rappeler que la Lune, l’objectif du 15e volume, est également un symbole maternel.
Grâce à ce « Tintin sur le divan », on perçoit ainsi le héros comme un enfant abandonné qui court après le secret de ses origines et recherche sa mère sous « mille formes symboliques ». Mais aussi comme un enfant idéal, si transparent et parfait qu’il suscite l’identification du lecteur.
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