À l'occasion de sa session inaugurale 2022, l'Académie nationale de médecine a distingué le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix en 2018, pour son engagement contre le viol comme arme de guerre en République démocratique du Congo (RDC), en lui donnant le titre de membre Honoris Causa ce 11 janvier.
« Un très grand Nobel de la Paix », a salué le président sortant, le Pr Bernard Charpentier. « Un féministe le plus authentique », a quant à lui souligné le Pr Patrice Tran Ba Huy, président pour 2022 qui a lancé l'invitation face au « besoin de sens et de dépassement » à donner à l'exercice médical. Le Dr Mukwege, qui a mis en place une prise en charge holistique des femmes victimes d'atrocités à l'hôpital de Panzi en RDC a insufflé « un supplément d'âme aux gestes du chirurgien » et a « fait de sa carrière une vie », a insisté le Pr Tran Ba Huy.
Les médecins appelés à prendre position
C'est un appel vibrant aux médecins que le prix Nobel a lancé à ses confrères et consœurs occidentaux pour lutter contre l'impunité et que soient appliqués les mécanismes de justice transitionnelle contre ces crimes perpétrés en RDC et ailleurs dans le monde. « Nous avons besoin de votre voix, que vous vous exprimiez sur ces souffrances, a-t-il lancé. La France doit jouer pleinement son rôle de leadership. (...) Il faut que soit transférée la honte des victimes sur les épaules de leurs bourreaux. » Un cadre juridique permettrait « un effet préventif et dissuasif en responsabilisant les individus et les États », a-t-il ajouté.
Car lors de sa conférence, le Dr Mukwege a décrit comment le viol « massif, méthodique et systématique » est une arme de guerre, destructrice pour les victimes directes mais aussi pour les communautés, conduisant « à l'exode de populations, à la chute démographique, à la destruction du tissu social et à la destruction des capacités économiques ». Le pillage et la famine ont été jugés en Sierra Leone ou au Rwanda, « il faut appliquer les leçons apprises au drame congolais », a-t-il plaidé.
Son combat a débuté après un épisode remontant au 6 octobre 1996 « qui hante (sa) mémoire des années après les faits », alors qu'il commençait sa vie professionnelle de gynécologue dans le Sud-Kivu en RDC. « L'hôpital dans lequel j'étais jeune directeur a été attaqué au mépris des règles internationales, a-t-il raconté. Les patients et une partie du personnel ont été sauvagement assassinés. » Pendant deux ans, le médecin n'a pu exercer, « chaque geste ordinaire devenait un supplice et me rappelait l'innommable », « j'étais au point de jeter l'éponge », s'est-il souvenu douloureusement.
Réparer les femmes par la chirurgie
« Notre formation ne nous avait pas préparés à faire face à cela », a-t-il expliqué, déplorant que de tels crimes se répètent en Irak, en Syrie ou en Afghanistan, « se répandent comme une traînée de poudre dans les zones de conflit », le personnel devenant la cible des belligérants. Et quand en 1999, le Dr Mukwege ouvre l'hôpital de Panzi pour lutter contre la mortalité materno-fœtale, il ne s'attendait pas à faire face à un tel phénomène organisé, confronté dans les mois qui suivent à « une multitude de cas de femmes ayant subi des actes inhumains et dégradants ». L'hôpital a ainsi développé un service de chirurgie réparatrice des organes génitaux et urinaires de la femme.
« Les femmes sont souvent violées en public en présence de leur mari, de leurs enfants ou de leur sœur, a-t-il rapporté. Les victimes sont directes mais aussi indirectes ». Le Dr Mukwege condamnait les maris qui abandonnaient leurs femmes, jusqu'à ce qu'un homme en larmes lui explique sa honte de ne pas avoir pu protéger sa femme : « je n'avais pas d'autre choix que de fuir ». Chaque groupe armé ayant son mode opératoire caractéristique : en tirant sur l'appareil génital qui est déchiqueté par les balles, en introduisant des objets tranchants, en brûlant ou en systématisant les viols publics. Même si les femmes en âge de procréer sont l'écrasante majorité, il y a aussi des bébés, des personnes âgées et des hommes. « Ils ne représentent que 1 % des personnes violées, mais même en déployant des moyens 100 fois supérieurs [pour leur prise en charge], beaucoup finissent par se suicider », a-t-il observé.
Le viol est une arme de guerre « moins chère », qui permet de s'accaparer des richesses du pays, en particulier des minerais de cobalt et de coltan, après l'exode des populations. Outre la destruction de l'appareil reproducteur, les infections sexuelles transmissibles contribuent à l'infertilité (chlamydia, gonocoques) mais aussi à la contamination VIH horizontale et verticale.
Un modèle de guichet unique à Panzi
En RDC, cette stratégie de la terreur basée sur le viol a entraîné 6 millions de morts, des millions de déplacés internes et des réfugiés et des centaines de milliers de femmes violées, laissant les populations dans un état de pauvreté extrême. « Depuis 20 ans à Panzi, nous répondons aux différents besoins des femmes sur le modèle du guichet unique au même endroit de façon personnalisée, a-t-il expliqué. Nous apportons une assistance médicale, psychologique, socio-économique et légale. On ne pose aux femmes qu'une seule fois les questions nécessaires ».
La justice fait partie intégrante du processus de guérison, « c'est un pilier très important ». Les femmes sont accompagnées et retrouvent le courage de se battre pour leurs enfants et pour la communauté qui les avait pourtant abandonnées. Le modèle est répliqué, notamment en République centrafricaine.
« Notre responsabilité ne doit pas se limiter aux conséquences, a-t-il exhorté. C'est à nous médecins que les femmes peuvent dire leurs souffrances. Il faut traiter les causes profondes et prévenir. Pour cela, il est impératif de faire évoluer les mentalités. Les conflits ne sont que l'expression des actes commis en temps de paix. Il faut éduquer à la masculinité positive dès le plus jeune âge pour une nouvelle génération d'égalité entre les sexes. Les femmes ne peuvent pas résoudre le problème des violences sexuelles, les hommes font partie de la solution », estime le Dr Mukwege.
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