CONSEILLER politique de François Mitterrand entre 1981 et 1985, Régis Debray a aidé Serge et Beate Klarsfeld à arracher Klaus Barbie au gouvernement bolivien de l’époque pour qu’il fût jugé et condamné en France. Cette seule démarche, sans doute dictée davantage par ses convictions de gauche (il se définit aujourd’hui comme un « gauliste d’extrême gauche ») que par sa sympathie pour les juifs mérite néanmoins leur gratitude. Élie Barnavi lui ayant conservé toute son amitié et lui ayant répondu par un texte que nous trouvons indulgent, il n’y a pas lieu, peut-être, d’en rajouter dans l’analyse critique des idées de M. Debray. Cependant, l’hebdomadaire « Le Point », qui a présenté « À un ami israélien » en y ajoutant d’autres textes, dont un entretien avec Claude Lanzmann, auteur de « Shoah », a semblé penser que la réponse d’Élie Barnavi ne suffisait pas à dissiper le malaise que ressentiront nombre de lecteurs de M. Debray. Celui-ci, en effet ne se contente pas d’apporter une analyse, extrêmement sévère pour Israël, de la conjoncture au Moyen-Orient. Il dénonce l’instrumentalisation de la Shoah par Israël à des fins politiques contemporaines et ne trouve pas de fondement juridique ou moral au sionisme ; il n’hésite pas à écrire le mot « barbarie » pour décrire les actes militaires d’Israël ; il stigmatise l’ascension des juifs religieux ; il ridiculise les juifs français, accusés, une fois de plus, de soutenir n’importe quel gouvernement israélien ; et, surtout, il ne dit pas un mot d’un fait majeur, la violence et l’intolérance des Palestiniens à l’égard des Israéliens. Bref, on lira en filigrane qu’il juge illégitime l’État hébreu.
À sens unique.
C’est donc un livre à sens unique qu’il a rédigé. Ce qui est surprenant (et consternant), c’est que M. Debray ignore la vie politique en Israël. Il n’a rien lu d’une presse qui accable ses dirigeants et d’un débat public au sein duquel sont exprimées autant d’opinions que d’Israéliens ; il ne sait rien des associations israéliennes qui, tous les jours, prennent la défense des Palestiniens et les aident matériellement à se soigner ou à passer les check-points. Sous le langage somptueux du normalien, percent l’amalgame, le choix des seuls arguments propres à illustrer la démonstration, la toute banale partialité, laquelle assortie d’un jugement sans appel qui frappe la diaspora de France, confine en définitive à cet agacement prodigieux et nuisible que de Gaulle avait exprimé en 1967 et au sectarisme du NPA auquel M. Debray s’est un bref moment rallié.
Quitte à perdre un ami, M. Barnavi aurait pu répondre à M. Debray que, même enveloppé dans un style brillant (mais aussi des formules qui enjolivent le propos plus qu’elles ne soutiennent la cause), l’intolérance pour tout ce qui est juif a un nom. Si M. Debray n’est pas un antisémite, il en créera parmi ses lecteurs, surtout parmi ceux qui, haïssant déjà les juifs, se réclameront de son autorité de philosophe et d’intellectuel. Il renforcera la détermination de ceux, parmi les Palestiniens, qui n’ont jamais voulu qu’en découdre et qui, après toute allusion au processus de paix, se hâtent d’aller commettre le crime qui replongera la région dans le sang et le chaos.
APRÈS CE LIVRE, LES CENSEURS DE NETANYAHOU PENSERONT QU’IL VAUT MIEUX SE TAIRE
M. Barnavi, même s’il n’approuve pas l’intervention militaire à Gaza, aurait pu répondre à M. Debray que le procès interminable qui a été intenté à Israël pour cette guerre et pour celle du Liban en 2006 est uniquement destiné à discréditer Israël et à l’affaiblir. Personne ne nie les souffrances d’un peuple qui, depuis soixante ans, n’a toujours pas de statut. Mais à Gaza, libérée par Sharon, il faut s’en souvenir, des artilleurs, pendant huit ans, ont envoyé des roquettes sur des écoles et des maisons civiles. On a dit que la riposte n’était pas « appropriée ». Pourtant, on entend moins parler des bombardements de Sdérot. De même, la « clôture de sécurité », expression qui indigne M. Debray, n’a qu’un objectif : la sécurité que le Mur (voilà, c’est dit) procure. Les violences israéliennes répondent à des violences palestiniennes. Ce sont les Palestiniens qui souffrent, ce sont eux qui n’ont rien quand les Israéliens ont tout ? Mais le Hamas ne veut rien partager, ne veut rien négocier, ne songe qu’à exterminer les Israéliens. Et avant de traîner Israël devant un tribunal international, on ferait mieux de s’occuper de la Birmanie, de la Chine, du Darfour et de tous ces pays dont les gouvernements martyrisent leurs peuples jour après jour.
Les livres que l’on publie à Paris ne sont pas que des événements éditoriaux quand ils se mêlent d’un problème géopolitique aussi douloureux. Ils peuvent faire beaucoup de mal. Comme aux États-Unis, il y a des juifs de France qui se sont constitués en un mouvement pour la paix et contre la politique du gouvernement de M. Netanyahou. Que ressentent-ils aujourd’hui s’ils ont lu le livre de M. Debray ? Qu’avec des amis comme lui, le moment n’est peut-être pas propice pour un assaut contre la politique d’Israël. On attend encore le livre qui expliquera comment Yasser Arafat a enterré la paix en 2000 et a ainsi contribué à l’intransigeance israélienne.
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité
Troubles du neurodéveloppement : les outils diagnostiques à intégrer en pratique
Santé mentale des jeunes : du mieux pour le repérage mais de nouveaux facteurs de risque