« Nous n’avons pas brutalisé le corps médical »

Publié le 27/06/2012
Article réservé aux abonnés
LE QUOTIDIEN - Quel bilan du quinquennat dressez-vous en matière de santé ?

ROSELYNE BACHELOT - On a fait une grande loi de restructuration de notre système de santé, une loi majeure, qui crée les Agences régionales de santé, qui réforme la gouvernance de l’hôpital, et qui crée tous les outils - encore faut-il s’en saisir - permettant de rénover la médecine ambulatoire. Nous n’avons pas brutalisé le corps médical : les fondamentaux de la médecine libérale (liberté d’installation, paiement à l’acte) ont été maintenus. Les dépenses de santé n’ont pas été rationnées : les personnels hospitaliers n’ont cessé de croître, et les budgets consacrés à la santé ont augmenté de pratiquement 20 % pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’ONDAM a été tenu pour la première fois. J’ai été une ministre gestionnaire du système de santé.

Nicolas Sarkozy a privilégié d’autres thématiques de campagne. N’aurait-il pas fallu vous-même monter au créneau pour défendre le bilan santé ? Ou Xavier Bertrand ?

C’est ce que je n’ai cessé de faire sur les solidarités pendant la campagne. Xavier Bertrand a été très présent dans la campagne, il a multiplié les déplacements, mais il a défendu des thématiques plus générales. C’est vrai aussi que c’est moi qui l’avais faite, cette loi [HPST]. J’étais plus fondée à la défendre car j’en connaissais les tenants et les aboutissants.

Vous écrivez ceci : « Au mieux, votre successeur fait tout pour récupérer la mise en occultant votre rôle, au pire, il abandonne le dossier de peur de passer pour un suiveur ». Quel regard portez-vous sur l’action de votre successeur - et prédécesseur - Xavier Bertrand ?

Cette phrase n’était pas destinée à Xavier Bertrand. J’ai vécu cette situation lorsque, en tant que ministre de l’Écologie, j’ai bâti la charte de l’environnement. J’ai eu la stupéfaction de voir mon successeur monter à la tribune et lire le discours que j’avais écrit sans une seule fois citer mon nom. Xavier Bertrand est un ami, je n’ai pas de commentaire à faire sur son action.

De votre passage à la Santé, les Français ont surtout retenu l’épisode grippal, et les millions dépensés pour les vaccins. Certains ont parlé de "cadeau aux laboratoires". Avez-vous des regrets sur la gestion de cette crise ?

Évidemment cette attaque est absolument abjecte, on ne peut pas l’empêcher. Les deux commissions d’enquête parlementaires, présidées par des adversaires politiques, ont conclu que la commande de vaccins était parfaitement calibrée. Dont acte. Il ne faudrait pas que le gouvernement, s’il se trouve confronté à une grave crise sanitaire, soit tenté à l’avenir de baisser la voilure.

Était-ce votre décision d’écarter les médecins généralistes de la campagne de vaccination ?

On ne les a pas écartés! On a dans un premier temps, pour des raisons de logistique, retardé leur arrivée dans la campagne. Ils étaient appelés à venir dans un deuxième temps. Il ne faut pas oublier que la campagne de vaccination a été pilotée par le ministère de l’Intérieur, et qu’il y a eu un changement de ministre à ce moment-là.

Dans votre livre, vous dites qu’il vous a fallu vous défendre « contre les lobbies » durant l’épisode H1N1. Vous citez « les syndicats de médecins qui défendaient leur pré carré ». Vous leur en voulez ?

Les syndicats médicaux, parce qu’ils étaient en période électorale, ont instrumentalisé un certain nombre de décisions pour asseoir leur influence et mobiliser leurs troupes.

Est-ce le poids du lobby médical qui vous a fait perdre le ministère de la Santé ?

Je n’ai pas eu le sentiment qu’il y avait une rupture aussi importante que certains ont bien voulu le dire. J’ai porté une réforme profonde, à la demande du président de la République. J’ai été soutenue par une majorité. J’ai souvent été en première ligne pour défendre les médecins libéraux, en particulier quand certains voulaient des mesures coercitives sur l’installation. J’ai expliqué que le régime des sanctions était contre productif. Peut-être y a-t-il eu une pointe de machisme dans cette affaire-là. Certains m’ont dit qu’il était intolérable qu’un pharmacien soit à la tête du ministère de la Santé. Une femme pharmacienne, c’était beaucoup!

Vous relatez certaines « sorties de route » de Nicolas Sarkozy. Lors de la première Conférence sur le handicap, il lance : « Quand je vous vois, je réalise la chance que j’ai de ne pas être handicapé ». Vous racontez une autre anecdote sur la formation infirmière.

Nous étions en déplacement. Nicolas Sarkozy s’échappe de ses notes, comme souvent, et il dit que la durée des études va être portée à quatre ans. Stupéfaction! Il n’en avait jamais été question. On a mis six mois à éteindre l’incendie.

Avez-vous déploré que l’hyperprésident, expression que vous employez, reçoive certains médecins en direct à l’Élysée ?

Je ne peux pas m’en plaindre. J’ai toujours reçu un soutien plein et entier de sa part sur cette loi [HPST]. Je n’ose imaginer qu’il ait tenu un double langage, au conseil des ministres, lors des réunions de cadrage, et devant les syndicats médicaux.

Vous n’avez pas eu l’impression par moments qu’il jouait au ministre de la Santé à votre place ?

Non. Non. Sur les sujets techniques, jamais.

Et ses conseillers ?

Raymond Soubie puis Jean Castex ont été très aidants. Je les respectais, ils me respectaient. Certains ministres se sont plaint des conseillers de l’Élysée. Moi je ne peux pas m’en plaindre. Vraiment pas. Mais j’ai aussi une certaine personnalité.

De François Hollande, vous dites qu’il a multiplié les « promesses irréalistes ». Vous reprochez à Marisol Touraine sa « posture idéologique » et son manque de pragmatisme. Quelles sont vos craintes pour les cinq ans à venir en matière de protection sociale ?

Il faut trouver d’autres ressources pour la financer. C’est l’enjeu majeur de la gouvernance de ce pays. Nicolas Sarkozy avait commencé à changer le financement de la politique familiale, mais cela est stoppé. On ne peut pas dépenser plus. Les nouveaux besoins, la dépendance par exemple, ne peuvent être financés que par des recherches d’efficience, or François Hollande n’envisage que des dépenses supplémentaires. La réflexion doit être européenne. Le durable refroidissement des relations franco-allemandes me paraît extrêmement dommageable pour les politiques sociales.

Croyez-vous aux chances de la gauche pour rétablir l’égalité dans l’accès aux soins ?

Les outils pour lutter contre les déserts sanitaires sont posés dans la loi HPST (les maisons de santé pluridisciplinaires, les modes de rémunération, etc.). Maintenant, il faut sortir les outils de la boîte! Cela ne sert à rien d’augmenter le numerus clausus maintenant. Marisol Touraine va au-devant de grosses difficultés si elle emploie la coercition. C’est par une politique volontariste de mise en action de la loi Bachelot qu’elle résoudra les problèmes de l’offre de soins.

PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9149