Relations médecins-industrie

Opération transparence

Publié le 05/04/2012
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Crédit photo : AFP

C’EST le 30 décembre dernier qu’a été publiée au Journal Officiel la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Voté à l’initiative du gouvernement, décidé à tirer les leçons de l’affaire du Mediator, ce texte instaure diverses mesures visant notamment à assurer une meilleure prévention des conflits d’intérêts et une plus grande transparence dans les relations entre les professionnels et les industriels du médicament.

La loi impose d’abord à tous les experts siégeant au sein d’agences sanitaires de faire une déclaration publique d’intérêts régulièrement remise à jour et indiquant les liens de « toute nature, directs ou par personne interposée, que le déclarant a, ou qu’il a eus pendant les cinq années précédant sa prise de fonctions » avec des entreprises ayant des activités dans le domaine de la santé. Cette règle s’impose aussi aux membres d’un cabinet ministériel. Toute décision prise dans une agence sanitaire, prise lors d’une délibération où siégeait un expert ayant un lien d’intérêt, sera frappée de nullité.

Mais la loi va encore plus loin en imposant aux industriels de rendre publiques toutes les conventions passées avec des professionnels de santé, les étudiants en médecine, les établissements de santé, les fondations, les sociétés savantes, les entreprises éditrices de presse, les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription et à la délivrance de médicaments. Cette mesure existait déjà pour les contributions versées par les laboratoires aux associations d’usagers de la santé : depuis 2010, ces contributions sont rendues publiques chaque année par la Haute autorité de santé (HAS).

Un « Sunshine Act » à la française.

Avec cette mesure, les parlementaires ont voulu instaurer une sorte de « Sunshine Act » à la française. Aux États-Unis, dans le cadre de la réforme santé du président Obama, a été instaurée une mesure figurant dans un projet de loi (le Physician Payment SunShine Act) qui avait été déposée par deux sénateurs et qui oblige les firmes pharmaceutiques à rendre publics tous leurs liens d’intérêts avec des médecins ainsi que le montant des sommes versées.

« Les différentes mesures, qui viennent d’être adoptées en France, vont globalement dans le bon sens. On ne peut que se féliciter de voir s’instaurer une plus grande transparence dans le monde de la santé », estime le Pr Yves Maugars, chef du service de rhumatologie du CHU de Nantes. « Je crois que les médecins et les laboratoires ont tout à gagner dans cette évolution : l’industrie, d’ailleurs, y est favorable car elle a bien compris tous les dégâts, en terme de perte de crédit et de confiance, que peuvent faire des affaires comme celles du Mediator », indique le Pr Maugars.

Ce rhumatologue fait partie d’un groupe de réflexion en pointe sur cette question des liens d’intérêts : l’Institut français de la démarche qualité en santé (IFDQS). En 2010, cet institut a réuni un groupe d’experts, médecins et non-médecins, pour réfléchir sur le problème de l’indépendance des experts. « Ce débat nous a permis de souligner la nécessité d’aller vers davantage de transparence, mais sans pour autant se livrer à une sorte de « chasse aux sorcières » et à porter un discrédit généralisé sur les experts. Il est normal qu’un laboratoire, qui développe un nouveau médicament, s’entoure de médecins dont la compétence est reconnue. Et il est normal qu’un médecin, qui livre un travail pour un laboratoire, soit rémunéré. La transparence, qui va désormais être instaurée, devrait toutefois permettre de mettre un terme à certains excès qu’on a pu connaître par le passé », estime le Pr Maugars, en reconnaissant que cette volonté des pouvoirs publics d’interdire tout lien d’intérêts aux experts siégeant aux agences n’est pas simple à appliquer. « Le risque, c’est que les agences se privent de la compétence reconnue de certains experts qui font autorité dans leur domaine. On constate d’ailleurs que l’homologation de certains médicaments est aujourd’hui retardée en raison de la difficulté pour trouver des gens compétents et n’ayant aucun lien avec l’industrie. Pour moi, cette transparence est nécessaire, mais ne doit pas empêcher le système de fonctionner », souligne le Pr Maugars.

Transpamed, un site dédié.

En 2010, ce médecin a pris une initiative originale : celle de créer un site internet, Transpamed, ayant vocation à recueillir, sur la base du volontariat, les déclarations d’intérêt de tous les experts dans le domaine de la santé. « Pour l’instant, le site est encore peu actif car on attendait que soient entrées en vigueur les principales dispositions de la loi. Aujourd’hui, il nous faut trouver un moyen de le positionner dans le paysage sanitaire. Une des voies à explorer sera peut-être celle du DPC (développement professionnel continu). Désormais, tous les médecins auront l’obligation de réaliser chaque année une action de DPC. Et on peut imaginer qu’il serait intéressant de constituer une base d’informations sur les experts qui participent au DPC », indique le Pr Maugars.

D’après un entretien avec le Pr Yves Maugars, chef du service de rhumatologie du CHU de Nantes.

 ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes