LE QUOTIDIEN - Cela doit sûrement vous agacer que les médias sollicitent votre opinion presque exclusivement qu’à l’occasion d’un événement dramatique. Selon vous, quel signe donner à la présence de deux ministres (Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie) lundi aux obsèques de Natacha Mougel, la jeune femme assassinée lors de son jogging dans le Nord (Marcq-en-Baroeul) ?
Dr SOPHIE BARON-LAFORET - Les agressions sexuelles sont un phénomène qui fait très peur. Dans ces moments de grande émotion, d’ailleurs tout à fait compréhensible, on a beaucoup de mal à prendre de la distance. Or on a un peu l’impression que ce n’est que dans l’émotion que les décisions sont prises. Et c’est ce qui est à craindre. D’un autre côté, si on ne profitait pas de ces événements pour aborder le sujet, alors on n’en entendrait jamais parler.
Nous devons surtout apprendre vraiment, je crois, à prendre de la distance. L’assassinat d’une jeune femme dans des conditions si monstrueuses est odieux. Mais, et c’est heureux, tous les délinquants sexuels ne récidivent pas. La présence de ces deux ministres montre certes l’intérêt qu’ils portent à ce sujet mais… gare aux disqualifications des uns et des autres.
Qu’entendez-vous par « disqualifications » ?
Celle des juges, des travailleurs sociaux, des soignants. Cela fait 20 ans que je travaille sur le sujet. Je comprends que l’on soit de plus en plus exigeant vis-à-vis de nous, spécialistes. Mais d’énormes progrès ont été réalisés dans l’enseignement et donc la connaissance, notamment via les formations dispensées aux centres ressources. Y sont organisées des réunions où les professionnels peuvent échanger et aussi se faire confiance. C’est une notion clef. Car les problèmes de violences sexuelles affectent la confiance, et à plusieurs niveaux. Je pense à la confiance de la victime, que l’auteur entame puisqu’elle la leurre, mais aussi à la confiance que se portent les professionnels entre eux et même au niveau étatique, dans les stratégies qui sont mises en place et qui se révèlent, ou non, inefficaces.
Le discours que nous entendons aujourd’hui est à mon sens contradictoire. Il a fallu attendre 20 ans pour que la paraphyllie fasse partie des indications de certains des médicaments inhibiteurs. Jusqu’alors, il fallait que nous, médecins, prenions la responsabilité de les prescrire pour les délinquants sexuels. On n’a pas attendu la loi. Or aujourd’hui, on dirait parfois que le juge souhaiterait contrôler cette prescription. Cela me paraît simplement inadéquat. Il y a confusion des rôles. Il faut former les médecins à savoir poser des diagnostics et donc à ne pas prescrire ces médicaments lorsque ce n’est pas pertinent. Cela veut dire aussi que la Justice doit se faire confiance. Les juristes eux-mêmes ont parfois l’air de contester les décisions de leurs collègues. Un jugement de correctionnelle ou de sortie n’est pas une décision facile à prendre. Pourtant, des statistiques montrent que les sorties en libération conditionnelle débouchent sur moins de récidives que les autres (ce qui s’explique par le fait que le délinquant sort entouré de tout un processus de contractualisation, d’engagement). Et pour nous médecins, quand il s’agit de prescrire des médicaments dont les effets secondaires sont tels, il nous faut des règles éthiques mais pas seulement. Nous devons nous sentir soutenus par notre corps de métier. Sinon, nous n’arriverons pas à prendre soin les uns des autres !
Aux centres ressources, nous apprenons aux professionnels à envisager la récidive de leurs patients, car c’est quelque chose de difficile à vivre pour eux aussi. C’est un échec. Mais si on travaille bien auprès des auteurs de violences sexuelles, on sait que l’on peut réduire de moitié le risque de récidive.
Comment « bien travailler » avec ces patients ? Et définir des profils de récidivistes est-il quelque chose d’envisageable, tant sur le plan éthique que sur celui de l’efficacité ?
Il faut se demander jusqu’où ce que l’on propose aujourd’hui aux auteurs de violences sexuelles convient et, à l’inverse, ce qui n’a pas marché. Dans le cas de Francis Évrard, par exemple, j’espère que s’il avait aujourd’hui 30 ans, on lui proposerait autre chose que ce qu’il s’est vu proposer il y a 30 ans.
Quant au profil récidiviste, je pense que l’on a besoin de se rassurer, d’avoir des points de repère. Mais les indicateurs doivent avant tout permettre de faire avancer les professionnels et d’aider l’auteur et non de l’enfermer encore davantage dans des idées reçues ou bien tout simplement en détention. Donc attention à ce que ces repères ne soient pas immédiatement détournés dans ce sens.
Parmi les auteurs de crime, moins de 3 % récidivent. Il ne s’agit pas de banaliser mais de réfléchir à la façon de mieux centrer nos objectifs, sinon on risque d’épuiser les professionnels qui travaillent avec cette population.
Concrètement, comment traduisez-vous cette réflexion ?
Il y a un an, quelques collègues médecins et moi-même avons sollicité des hommes politiques de tous bords, des députés et même le cabinet du Premier ministre, à propos de la mise en place d’un plan Violences sexuelles. Le Québec a réalisé quelque chose comme ça, réunissant tous les protagonistes, évaluant et analysant tout ce qui fonctionne. Il en est désormais à son deuxième plan. Nous voudrions créer un lieu qui propose à la fois évaluation clinique, recherche et formation des professionnels. Mais cette démarche doit s’intégrer dans une réflexion plus globale. Nous devons nous préoccuper autant des victimes que des auteurs des violences. C’est en prévenant les auteurs que l’on prévient les victimes.
IL EST POSSIBLE DE RÉDUIRE DE MOITIÉ LE RISQUE DE RÉCIDIVE
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