L’hospitalisation de Michaël Schumacher au CHU de Grenoble

Quand l’hôpital est cerné par un barnum médiatique

Publié le 13/01/2014
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AU LENDEMAIN de l’admission en réanimation de Michael Schumacher, la première conférence de presse que tiennent les Prs Jean-François Payen (anesthésiste-réanimateur) et Emmanuel Gay (neurologue), avec les dirigeants du CHU de Grenoble, le lundi 30 décembre, est « un sans-faute », comme l’observe Emmanuel Hirsch, président de l’Espace Éthique de l’AP-HP. Les PU-PH s’expriment avec un vocabulaire clair, maîtrisant l’exercice de bout en bout, donnant les informations techniques, en accord avec la famille, sans manquer au secret médical, ni verser dans le sensationnalisme. Au passage, le Pr Payen n’omet pas de s’adresser aux patients pris en charge dans le CHU, ils les assurent qu’« ils sont traités avec la même attention et le même engagement thérapeutique » que le célébrissime coureur allemand. « Notre métier, insiste-t-il, n’est pas dédié à une ou deux personnes, aussi renommées soient-elles. »

Déferlante.

Mais à partir du lendemain, surfant sur l’émotion des fans, la déferlante médiatique s’abat sur l’établissement. Littéralement : le parking qui jouxte les urgences est occupé par une vingtaine de camions-régie et des dizaines de véhicules. Dès 6 h 30, sous les batteries de spots, les directs s’enchaînent en mondiovision autour de trois plateaux improvisés. À l’annonce, en fin de matinée, d’une nouvelle conférence de presse, les médecins sont assaillis par la centaine de reporters présents, qui jouent des coudes pour les approcher.

L’attachée de presse de Schumacher, Sabine Kehm, fera savoir peu après que l’exercice ne sera pas renouvelé, tant qu’aucun élément nouveau n’interviendra, le champion, toujours dans le coma, demeurant dans un état « stable », mais critique.

Présent à Grenoble à titre amical, le Pr Gérard Saillant, président de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (dont Schumacher est l’un des parrains) s’adresse aux journalistes : « Quand on soigne une personnalité du monde sportif, politique ou culturel, la seule façon de bien la soigner, c’est de faire comme pour tout le monde ; c’est comme cela que vous aiderez Michael à gagner le combat, qui est difficile, qui n’est pas gagné : je demande aux médias de ne pas mettre la pression sur le monde médical, ni sur la famille. »

La pression continue de monter cependant. Aux journalistes viennent s’ajouter maintenant les supporters de l’écurie Ferrari qui débarquent en masse pour l’anniversaire de leur champion, qui a 45 ans le 3 janvier.

Interrogé par l’AFP, le Pr Jean Chazal, qui avait pris en charge le champion de Ski Luc Alphand après une chute de moto, témoigne qu’en pareil cas, « le contexte joue un rôle important pour les médecins, il y a une ambiance très anxiogène dans les hôpitaux. » C’est vrai, confirme au « Quotidien » le Pr Bernard Debré, chef du service d’urologie de Cochin, « ces situations où il faut subir des typhons médiatiques donnent du stress aux équipes et peuvent être perturbantes même pour les professionnels exercés. Le chef de service doit absolument être protégé, y compris à son domicile, où il peut être suivi. Il faut que l’administration crée une bulle de tranquillité autour de l’équipe. »

Ne pas céder aux sirènes.

Depuis Paris, le Pr Guy Vallancien, chef du département d’urologie à l’Institut Montsouris, sévère, déplore que « les hôpitaux, à la différence par exemple des compagnies aériennes comme Air France, ne soient pas habitués à gérer de telles crises. Ils doivent apprendre à ne rien céder aux sirènes médiatiques, à mettre en place et à tenir des barrages forcenés contre toutes les menaces intrusives. Ne pas bouger, c’est la règle d’or. Or si les hôpitaux ont des plans blancs, ou des plans ORSEC, ils n’ont toujours pas de cellules de crise opérationnelles et sont incapables d’assurer lorsqu’un événement majeur survient en interne. »

Les limites de la volonté de transparence.

Au CHU de Grenoble, après l’interception d’un homme qui s’était déguisé en prêtre et pourrait être un journaliste, les équipes de vigiles sont renforcées et les accès à l’établissement filtrés. La volonté de transparence a atteint ses limites. Interrogé par « le Quotidien », un cadre supérieur du CHU préfère s’abstenir de tout commentaire sur la communication de crise et il s’inquiète, peu après, de ne surtout pas être nommé, la consigne de silence s’étendant désormais au refus même de s’exprimer.

Dans un communiqué, la direction demande à la presse de « déplacer les véhicules sur un parking situé à proximité immédiate des urgences (pour) garantir l’accès et le bon fonctionnement de notre CHU ». Un autre communiqué insiste pour que les journalistes « respectent le secret médical » et s’en tiennent « aux informations données par l’équipe médicale en charge », excluant, pour l’heure, de nouvelles communications, orales ou écrites.

Mardi dernier, c’est l’épouse du champion, Corinna, qui, s’exprimant pour la première fois, publie à son tour un communiqué destiné aux rédactions : « Il m’importe que l’on ménage les médecins et l’hôpital afin qu’ils puissent travailler en paix (...) S’il vous plaît, implore-t-elle, laissez aussi notre famille tranquille. Ayez confiance dans les déclarations des médecins et quittez la clinique. »

À la fin de la semaine dernière, le président de l’association des journalistes allemands, Michael Konken, monte au créneau pour demander de « respecter ce souhait », rappelant que le code déontologie de la presse exige « le respect face à la douleur des victimes et les sentiments des proches » et ajoutant qu’il ne « doutait pas que les médecins informeraient les médias sur toute nouvelle évolution de l’état de santé de l’ex-champion. »

Message apparemment reçu à Grenoble où, à la fin de la semaine dernière, 11 camions de télévision restaient cependant stationnés sur le parking des urgences, laissant l’accès libre aux ambulances.

CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9292